XX

 

   
 

Jabu se tenait fièrement au milieu de l’aire de combat, attendant son adversaire. Ce dernier était un peu plus grand que lui, et légèrement plus musculeux. Son armure, ou « Furie » comme il convenait d’appeler les protections des Berserkers d’Ares, luisait d’un vif éclat rouge sang, rehaussée de motifs dorés.

Jabu observa son visage et constata avec surprise que celui qui répondait au nom de Duelliste faisait une moue boudeuse, et traînait les pieds avant d’arriver enfin face à lui.

Le Berserker le regarda droit dans les yeux, et poussa un soupir de mépris. Il se retourna soudain du côté de l’arène où siégeaient les autres Chevaliers d’Athéna, et lança tout en le pointant du doigt :

« Cet homme n’est pas à la hauteur ! Seiya, viens le remplacer ! Tu me dois une revanche sur notre dernier duel, Seiya ! Viens ici m’affronter, et cette fois c’est moi qui gagnerai ! »

Jabu resta pétrifié, non de surprise, mais de colère.

Comment osait-il l’insulter ainsi, devant Athéna ? !

Il serra les dents et regarda la silhouette insouciante de Seiya, qui répliqua :

« Duelliste, tu n’as qu’à gagner ce duel, et nous nous affronterons peut-être au second tour ..! »

Le Berserker répéta son soupir de mépris, et se tourna vers le Chevalier de la Licorne.

« Bien, en ce cas nous en finirons vite : tu es un adversaire trop facile, tout cela n’est que perte de temps. La puissance des Chevaliers d’Athéna me paraît tout à coup des plus inégale… »

Jabu retenait sa colère.

Encore une fois on le comparait à Seiya, et encore une fois on le rabaissait. Sa haine avait beau s’être apaisée, les paroles acérées du Duelliste ravivèrent sa douleur.

Ainsi donc il n’était rien ? En ce cas, il allait leur montrer, à tous ! Ils verraient que sa puissance pourrait égaler celle des autres Chevaliers de Bronze vainqueurs de la Bataille du Sanctuaire : il le pouvait, il en était certain !

Il lança un laconique « En garde » à son adversaire, et le combat commença…

 

   

         
 

 

La vieille dame parcourut de son regard aigu les fines lignes qui parcouraient la paume de l’enfant. Le brouhaha du grand marché d’Oran autour d’eux était presque assourdissant. Elle toussota, sourit et lui dit d’une voix aigrelette:

« Mon Petit, tiens-tu tellement à connaître ton Destin.. ?

-          Oui ! Je le veux ! Lis-moi mon avenir !

-          Eh bien… »

Elle poussa un petit soupir, et commença.

 

   
         
 

 

Il pleurait, silencieusement, couché sur sa paillasse d’apprenti Chevalier.

Il ne voulait pas la croire. La vieille devait mentir, il en était sûr.

Jamais tout cela n’arriverait. Non, jamais.

Il gardait des souvenirs aigres de l’Orphelinat de la Fondation Graad. Un an s’était passé depuis qu’il en était parti pour rallier l’Algérie, pour y obtenir une Armure légendaire…

Non, son destin ne pouvait se ramener à ces quelques mots.

Une voix, grave mais rassurante, se fit entendre dans son dos.

« Qu’y a-t-il, Jabu ? Sont-ce des pleurs que j’entends ?

-          Non, Maître, ce n’est rien… Je suis juste un peu triste, c’est tout.

-          Pourquoi es-tu triste, jeune apprenti ? »

Il ne répondit rien. A quoi bon importuner son Maître avec ça ?  L’homme s’était assis en tailleur face à lui. Ses vieux vêtements, sales et usés, ne montraient en rien son appartenance à la Chevalerie. Les yeux condamnés à regarder le vide, Salha attendait la réponse de son élève.

Sa cécité était connue de tous, bien qu’il conservât malgré tout sa puissance de Chevalier d’Argent.

Jabu, le cœur trop lourd, finit par céder.

 

   
         
 

 

Le Duelliste dégaina une longue et fine lame de métal, et fit quelques mouvements d’apparat. L’arme tranchait l’air avec une aisance et une vitesse impressionnante, légère et maniable comme un souffle de vent. La maîtrise du Berserker semblait indéniable.

Mais cela n’allait pas arrêter le Chevalier de la Licorne.

Ce serait trop facile.

Jabu avait juré autrefois de ne jamais abandonner une bataille, même s’il en connaissait l’issue inévitable.

« Le Destin est une chose que l’on forge, chaque jour inlassablement. C’est à toi, jeune apprenti, d’en guider le métal : ne te laisse jamais guider par lui… car la lame serait alors impure, et imparfaite. »

Ces mots de son Maître résonnèrent soudain dans son esprit.

Peu lui importait le Destin après tout, car il avait un combat à gagner…

 

   
         
 

 

Le Duelliste considéra avec un sourire le Chevalier d’Athéna qui avait le courage de se battre malgré l’énorme différence de puissance.

Il allait peut-être s’amuser après tout…

Il connaissait la capacité extraordinaire qu’avaient les Chevaliers à vaincre des adversaires bien au-dessus d’eux, la Bataille du Sanctuaire, qui avait vu la défaite de plusieurs Chevaliers d’Or, le prouvait incontestablement. Peut-être ce petit Chevalier lui jouerait lui aussi  le même tour?

Il se concentra, et se fendit en un éclair dans la direction du Chevalier de la Licorne, dont il toucha le genou de la pointe de sa lame. Un mince filet de sang s’écoula, alors que le Duelliste se mit à enchaîner coup sur coup.

Pour l’instant, le Chevalier de Bronze esquivait bien, mais il ne montrait pas autant d’adresse que Seiya dans ses mouvements d’évitement. Le Chevalier Pégase avait en effet une certaine maîtrise de l’escrime, qu’il avait dû recevoir dans sa formation, au contraire de l’adversaire qui lui faisait à présent face.

Effectivement, cet individu n’était vraiment pas à la hauteur, mais il se battait quand même : c’était soit de l’inconscience, soit la marque d’un grand courage. Après tout, c’était typique du comportement des Chevaliers d’Athéna…

Quant à celui qui lui faisait face, le Duelliste se donna cinq minutes pour vérifier.

 

   
         
 

 

Jabu esquivait tant bien que mal les gestes vifs de son adversaire.

Ce dernier était très rapide, et son habile maniement de la lame ne lui laissait que peu d’alternative. Il continuait, peu à peu, de reculer vers le bord de l’arène.

Il était temps d’attaquer, avant de se retrouver acculé…

Il n’avait pas la vitesse de Seiya, mais il avait d’autres cordes à son arc. Il concentra son esprit, étendant ses perceptions sur la surface totale de l’aire de combat. Il cerna les mouvements de son adversaire, et commença à réagir.

Il imprima une impulsion psychique sur le torse du Berserker, afin de tester sa résistance.

Ce dernier stoppa son mouvement une fraction de seconde, ce qui permit au Chevalier de la Licorne de se dégager et d’entamer une série de coups en une courte contre-attaque.

Cela ne fonctionna pas cependant, car la portée de la rapière du Berserker l’empêchait de s’approcher pour entamer un véritable échange corps à corps. La fine lame le forçait à rester à une distance respectable.

Il se rappela son duel contre Shun, au temps du Tournoi Intergalactique, où la même configuration s’était présentée, mais en bien pire. La Chaîne d’Andromède lui paraissait, même en ce jour, toujours aussi invincible…

Et encore une fois, il avait une arme face à lui, une arme d’un genre différent mais tout aussi efficace.

Bon, tant pis, il devrait tout de suite abattre sa meilleure carte. Après tout, s’il avait bien compris, sa puissance n’était que celle d’un vulgaire Chevalier de Bronze…

 

   
         
 

 

Le Duelliste croisa le regard de son adversaire.

Une sourde détermination apparut dans ses yeux.

Parfait, il allait peut-être y avoir de l’animation ! Il espérait bien rendre son duel au moins aussi attrayant que celui de sa sœur la Lionne Noire…

Soudain, une force comprima sa poitrine, puis tout son corps, la même force qui tout à l’heure, le figea un bref instant.

Il tenta de lutter, mais ses membres n’obéirent plus.

Le Chevalier de la Licorne le regarda d’un air sombre. Ainsi, ses véritables pouvoirs étaient de nature télékinésiques… Mais saurait-il les utiliser efficacement face à un Berserker ?

Le Chevalier se prépara, puis chargea, l’aura d’une Licorne galopant derrière lui. Des étincelles violettes jaillirent sur son passage, et il frappa le Berserker en plein torse.

Le Duelliste aurait dû être projeté en arrière, à plusieurs dizaines de mètres, mais le pouvoir d’immobilisation de la Licorne l’en empêchait, ce qui ne faisait qu’accroître la puissance de l’impact. Sa lame s’égara sur le bord de l’arène. La douleur était bien présente, bien que passagère.

Il se retourna vers le Chevalier de la Licorne le sourire aux lèvres. Tout cela commençait à l’amuser.

 

   
         
   

Jabu se dressait fièrement face à son adversaire qui venait de se retourner, libéré de son étreinte psychique. Voilà ce qu’il en coûtait de sous-estimer un adversaire.

Le Chevalier se remit en garde, et déploya à nouveau sa puissance psychique.

Il avait mis des années à développer ce pouvoir, le seul qui permettait d’entrer en résonance avec l’aura de la Licorne, le seul qui permettait d’en puiser l’énergie…

Evidemment, il était loin d’égaler la puissance de Mü, le Chevalier du Bélier, ni même celle de son Maître, Salha, mais il espérait que cela suffirait.

Au fond, il savait que cela n’arrêterait pas le Duelliste. Il savait qu’il devait perdre, encore une fois. Les Berserkers développaient une puissance équivalente à celle des Chevaliers d’Or, comment pourrait-il vaincre si lui-même n’arrivait pas à égaler Seiya ?

Mais Seiya n’était-il pas lui-même un cas particulier ?

« Un éternel perdant… »

Il se rappela les mots cruels de la vieille diseuse de bonne aventure, des mots qu’il avait désespérément tenté d’oublier, mais qui revenaient toujours, à chaque nouvel échec qu’il devait affronter. Une certaine amertume avait fini par ronger son âme de Chevalier, mais aujourd’hui n’était pas le jour pour perdre à nouveau, car cette fois l’enjeu était trop grand.

Pour l’âme des victimes, pour lui-même, et pour Athéna…

Peut-être devrait-il donner sa vie dans ce combat à « l’issue inévitable » ?

Il soupira, et concentra ses pouvoirs télékinésiques.

Il devait gagner, pour rompre sa malédiction…

 

   
         
   

Le Duelliste reçut l’impact télékinésique de plein fouet. L’énergie mentale du Chevalier tenta de l’immobiliser à nouveau, de la même façon.

Il se retint d’éclater de rire. 

« Cela ne marche jamais deux fois contre le même adversaire… »

C’était le genre de maxime basique que tout le monde connaissait, qu’on soit Berserker ou Chevalier : celui de la Licorne devait pertinemment le savoir, ce qui signifiait qu’il avait préféré abattre tout de suite sa meilleure carte.

Effectivement, ce combat serait des plus simples.

Il ramena peu à peu ses mains face à lui, luttant sans difficulté contre la volonté du Chevalier. Il était certes désarmé, mais rien n’est plus dangereux qu’un adversaire apparemment vulnérable…

Il concentra son aura de Berserker, et ses yeux se mirent à luire d’un éclat écarlate, le même que celui de la Lionne Noire. Un éclat de lumière rouge s’échappait par instant derrière son casque, au niveau du front : la Rune d’Ares réagissait à l’énergie que déployait le Berserker. L’aura du Berserker couvrit sans difficulté la faible puissance mentale de la Licorne, et le Chevalier recula, impressionné.

D’un coup, il imprima à l’air un choc sourd : le souffle vaguement rougeâtre, impulsé par l’aura du Berserker, fendit l’air comme l’aurait fait sa lame, une Lame d’Esprit...

Le sol se fendit, et le ciel fut barré d’une césure écarlate.

Le Chevalier de la Licorne s’écrasa finalement au sol, son casque fendu par l’impact.

Et bien, tout cela n’aura guère duré…

 

   
         
   

Shiryu sursauta en voyant la technique du Berserker, qui sans conteste lui rappelait celle de Shura, défunt Chevalier d’Or du Capricorne et dont l’épée invisible, « Excalibur », montrait la même facilité à fendre l’air et le sol !

Il sursauta, et voulut intervenir, car lui connaissait un moyen de vaincre.

Mais il se retint.

Lui-même, en tentant d’abattre Shura, aurait du mourir, sans la compassion du Chevalier d’Or. Il ne pouvait se résoudre à conseiller à Jabu de sacrifier sa vie.

Il devait y avoir une autre solution !

 

   
         
   

Jabu se releva lentement, le regard fatigué.

Il avait perdu sa carapace d’arrogance, celle qui cachait sa faiblesse, celle qui dissimulait tant bien que mal son destin d’éternel perdant

Des larmes de rage et de désespoir coulèrent le long de ses joues.

Le Berserker ne fit pas un mouvement, attendant de voir.

Puis, soudain, Une énorme explosion déforma l’endroit de l’arène où se tenait le Chevalier de la Licorne. Sa puissance mentale semblait décuplée. Des étincelles violettes vrillaient l’atmosphère qui commençait à grésiller d’énergie…

 

   
         
   

Le sol se fissurait dans toutes les directions, la puissance psychique des deux adversaires qui se faisaient face crevassant sauvagement le marbre blanc de l’arène.

La concentration du Duelliste était totale, absolue.

Car l’art du combat dans sa quête de perfection n’admettait aucun relâchement. Aucun.

Le Berserker s’élança contre le dôme énergétique du Chevalier de la Licorne. Pointant sa rapière d’un geste rapide, il entrouvrit le champs psychique, et pénétra à l’intérieur, provoquant de nouveaux crépitements d'étincelle.

Commença alors l’échange final, celui qui clôturerait leur combat. La pesanteur était décuplée dans la zone soumis au pouvoir de la Licorne, et pour ceux qui regardaient le combat du dehors, les gestes des deux adversaires semblaient aller au ralenti, alors que, pour les combattants eux-mêmes, il leur semblait aller aussi vite que la lumière…

Le Duelliste sonda le champs psychique de la Licorne, et ressentit l’étrange fatalisme qui imprégnait l’aura de combat de Jabu. Il se méfia. Il avait déjà ressenti cette impression, il y a longtemps.

L'esprit de Sacrifice.

Le Berserker s’en était déjà douté : le Chevalier d’Athéna allait tenter de sacrifier sa vie pour le vaincre, et c’était ce qu’il avait voulu dire en disant que ce combat verrait leur défaite à tous deux…

Ses traits se durcirent.

Sa seule objection était qu’il n’avait absolument pas l’intention de perdre.

 

   
         
   

Jabu ne pensait plus à rien.

Il se contentait d’esquiver chacun des coups que lui portait le Berserker, dont les mouvements semblaient à peine gênés par la pression psychique que sa cosmo-énergie exerçait sous le dôme.

Il se contentait d’attendre.

Sa mort arriverait bientôt, mais il aurait alors accompli son Destin.

 

   
         
   

Le Duelliste était plutôt surpris.

Il n’y avait plus aucune lueur de combativité dans les yeux du Chevalier, qui lui semblait si arrogant pourtant il y avait encore quelques minutes. C’est là qu’il remarqua les étincelles qui s’accumulaient le long de l’armure de la Licorne. La pression psychique s’accumulait encore et encore, et surpasserait bientôt son propre contre-champs psychique.

Il venait de comprendre.

Il comprenait comment ce faible Chevalier allait le vaincre.

 

   
         
 

 

Marine venait de comprendre, elle-aussi. Ses poings se serrèrent.

Le Chevalier de la Licorne allait faire imploser sa cosmo-énergie. Cela désintègrerait tout ce qui se trouverait sous le dôme psychique : son adversaire tout comme lui seraient alors réduits en cendres… Les dégâts de l'explosion, suffisants pour remodeler cette face du globe, resteraient circonscrits sous le dôme, évitant toute autre victime inutile, mais les ondes de choc à répétition à l'intérieur achèveraient de réduire à néant les deux adversaires...

Elle leva les yeux vers Shina, et chacun des autres Chevaliers. Tous avaient compris ce que Jabu allait faire.

Il allait amplifier sa cosmo-énergie jusqu’au seuil critique de non-retour.

La voix de Shun s’éleva, et on sentait l'inquiétude dans son timbre :

« Cela ne suffira pas à tuer le Berserker. Mon frère Ikki a tenté la même chose contre Shaka, le Chevalier d’Or de la Vierge, et il n’est parvenu qu’à l’envoyer dans une dimension parallèle… La Furie du Berserker a toutes les chances de le protéger de l'énergie dégagée par l'implosion !

-          Tu te trompes. »

Cette dernière voix résonna dans l’esprit de chacun des Chevaliers d’Athéna, une voix douce et dorénavant familière.

C’était Shaka, le Chevalier de la Vierge.

« Ce que va faire le Chevalier de la Licorne ne consiste pas seulement à faire imploser sa propre cosmo-énergie, loin de là. Il va recourir à l’énergie scellée dans l’Armure de la Licorne elle-même, et la faire imploser. La puissance dégagée par la libération d'une telle quantité de poussière d’étoile sera suffisante, non seulement pour détruire la Furie du Duelliste, mais elle annihilera aussi les âmes des deux adversaires… »

Seiya trembla.

« Tu veux dire que l’âme de Jabu disparaîtra avec son armure ?!

-          Exact. Un tel acte est normalement interdit par la Chevalerie, car la destruction de l’âme n’est pas tolérée par Athéna… ni par les Lois Divines. Alors qu’Ikki s’est contenté de détruire son corps pour m’envoyer dans une autre dimension, Jabu va quant à lui réellement disparaître pour vaincre son adversaire… Sans âme, il ne se réincarnera pas, et il ne restera plus trace de lui nulle part…

-          C’est impossible, nous devons l’empêcher de faire ça !

-          C’est là son choix, nous ne pouvons plus intervenir. De toute façon, il semble que son armure soit d’accord pour disparaître avec lui… 

-          Son armure..? »

Le Chevalier Pégase observa les étincelles, puis les fissures qui apparaissaient le long de l’armure de la Licorne.

Non.

Il ne pouvait laisser Jabu se sacrifier…

Il refusait le Sacrifice de la Licorne, et l'empêcherait !

 

   
         
   

Le Duelliste avait compris qu’il n’y avait plus d’issue. Pour surpasser l’aura du Chevalier de la Licorne, il faudrait qu’il fasse imploser sa propre cosmo-énergie, ce qui signifierait aussi sa mort, et donc sa propre défaite…

Il était piégé.

Ce Jabu l’avait bien eu.

Il s'était bien fait avoir en pénétrant dans le dôme psychique : il en ricanerait presque...

Il préféra cesser le combat, et rengaina sa lame dans son fourreau. Décidément, cette nouvelle génération de Chevalier faisait tout pour le surprendre. Il sourit alors, tandis qu’une décharge d’énergie violette emplit complètement le dôme, et il se laissa avaler par le souffle de l'explosion. Il murmura simplement :

« Bravo, Chevalier. Je m’avoue vaincu. »

 

   
         
   

« Relève-toi, Jabu, car ceci est ma dernière leçon. Si tu la saisis, alors tu seras digne d'être un Chevalier, et tu pourras rentrer chez toi avec l'Armure Sacrée d'Athéna. N'est-ce pas là ce que tu as toujours voulu ?

-          Oui, Maître. Je... je suis prêt.

-          Bien, prépare toi et regarde bien. Vois-tu ces étincelles qui commencent à parcourir mon corps ?

-          Oui... C'est... »

Jabu resta muet. Chaque être vivant contenait en lui un peu de Poussière d'Etoile, ce même matériau qui donnait vie aux Armures sacrées... Son maître faisait étinceler la poussière piégée en lui, sa propre Vie en somme. Mais où voulait-il en venir ?

« Jabu, regarde bien, observe mes gestes, et cerne mes pensées. Alors tu comprendras ce qu'est cette ultime attaque...

-          Oui, Maître... »

Le jeune Jabu venait de traverser les quelques années de sa formation et devait à présent affronter la dernière épreuve que lui imposait son maître Salha, celle qui ferait de lui un véritable Chevalier d’Athéna, lui conférant le droit de porter l’armure sacrée de la Licorne.

Son maître lui avait patiemment appris l’art des forces de l’esprit, le dotant de pouvoirs psychiques extraordinaires, et il se tenait à présent, face à lui, guettant les réactions de son apprenti. Les étincelles sur son corps se multiplièrent, amplifiant leur éclat.

« Ecoute-moi bien, Jabu, car l'attaque que je vais te porter est la plus puissante qui existe, surpassant toutes celles que tu auras jamais à affronter, car cette attaque puise sa force dans la Vie elle-même… »

Le corps de Salha se mit à grésiller, et de petits éclairs le parcoururent.

« La Vie est un don inestimable, et le devoir de tout Chevalier est de la protéger au péril de la sienne : tu seras un Chevalier digne d’Athéna, je le sais, car tel est ton Destin. »

Jabu soupira. Le souvenir de la prédiction de la vieille diseuse de bonne aventure restait ancré dans son esprit. Un éternel perdant, voilà son véritable destin...

« L'armure de la Licorne ne sera tienne que lorsque tu maîtriseras cette technique, et accepteras tout ce qu'elle implique...

-          Maître, que voulez-vous dire ? Je... je ne comprends pas ! »

L'aura de Salha devint démentielle, des éclairs fracassaient la roche qui les entourait, et seul les échos des vents du désert répondaient à cet assourdissant vacarme.

Puis, en voyant la peau de son maître se crevasser de fissures lumineuses, Jabu comprit.

Toute cette énergie qu'il contemplait était libérée par la Poussière d'Etoile, cette même poussière qui assurait la vie même de son maître, et celle de toute créature vivante : le vieux Chevalier d'Argent était en train de pousser son énergie vitale jusqu'au seuil critique, seuil au-delà duquel il n'y aurait que la mort, une mort qui s'accompagnerait du plus grand déchaînement d'énergie possible. La désintégration de la cosmo-énergie d'un Chevalier serait alors suffisante pour vaincre même le plus puissant des adversaires, rasant les montagnes, fendant les cieux et comblant les océans...

Cette technique ultime n'était donc rien d'autre qu'une forme de suicide. Un suicide garantissant la victoire.

Son maître sourit, et prononça, malgré la tourmente :

« Tu as compris... »

Jabu cria alors, en se rendant compte que son maître allait mourir en lui apprenant cette technique : l'enseignement de cette dernière passait par la mort du maître lui-même, dans la déflagration des énergies libérées par la Poussière d'Etoile contenue dans son corps. Car c'était le seul moyen.

Mais Jabu refusa.

Il s'élança dans le tourbillon cataclysmique, et toucha le corps de son maître avec sa paume, malgré la douleur qui l'oppressait dans la tempête d'énergie.

« Maître, vous ne mourrez pas, vous ne devez pas mourir, pas pour moi ! »

Et leurs silhouettes s'évanouirent dans un éclair blanc.

Jabu se concentra alors et déchargea une part importante de sa propre Poussière d'Etoile dans le corps de son maître, qui échappa grâce à cela à la désintégration pure et simple. Il hurla de douleur alors qu'il sentait une grande part de son énergie vitale lui échapper à tout jamais. Puis il s'évanouit, mais sa douleur s'apaisa étrangement tandis qu'une douce énergie l'avait empli, comme pour le protéger.

Salha sourit, en voyant l'esprit de la Licorne envelopper le corps de son nouveau protégé, un enfant dont le cœur était assez pur pour sacrifier sa propre vie pour sauver celle des autres. Des larmes coulèrent enfin de ses yeux morts alors qu'il admirait le geste de son élève. Il était impressionné, et profondément ému.

Jabu resta inanimé pendant trois jours d'affilée, et le vieux Chevalier d'Argent veilla soigneusement son apprenti.

La dernière nuit, alors que les vents du désert s'étaient étrangement arrêtés de souffler, quelqu'un leur rendit visite : c'était la vieille sorcière qui avait prédit son avenir à Jabu à son arrivée à Oran, lui décrétant un destin d'éternel perdant...

Elle vint s'asseoir tranquillement au côté de Salha, comme une amie de longue date, et regarda Jabu, toujours inconscient.

« Cet enfant avait des pouvoirs immenses, Salha. En sacrifiant une partie de son essence vitale pour te protéger de l'annihilation, il a sans le savoir renoncé à des pouvoirs dignes d'un dieu. Sa puissance sera désormais à peine celle d'un Chevalier de Bronze, et il aura d'ailleurs les plus grandes difficultés à vaincre même des adversaires de son propre rang...

-          Je le sais, et je le regrette... J'aurais du mourir pour lui enseigner la technique de l'Ultime Sacrifice, mais c'est lui qui m'a donné une leçon. Désormais, l'esprit de la Licorne le protègera, même si son destin est celui que tu lui as prédit...

-          Pourquoi alors lui avoir enseigné une technique interdite par Athéna ?

-          Seuls les individus au cœur pur peuvent prétendre recevoir la bénédiction de cette armure d'Athéna : l'apprentissage de cette technique est en soi une preuve de pureté. Car seule une personne prête à sacrifier sa propre vie est digne de la Licorne. Même si son sacrifice est interdit par Athéna...

-          Ah je vois... Hé hé, je crois que je comprends mieux à présent. Dis-moi, Salha, depuis quand crois-tu en mes prédictions ..?

-          Il se trouve que malgré ma cécité, j'ai moi-aussi senti les augures, et mon inquiétude vis-à-vis de la conduite du Sanctuaire s'accroît de jour en jour : le Grand Pope m'a rappelé dernièrement, mais j'ai refusé de rentrer en Grèce. Pour l'instant on m'a laissé en paix, car toute la Chevalerie connaît mon vœu de solitude et me respecte. C'est là la raison pour laquelle je voulais transmettre ce savoir à Jabu : même si son usage a été interdit par Athéna, la connaissance de cette technique ne doit pas se perdre, et mon intuition me dit qu'il en aura bientôt besoin... Les événements risquent de se précipiter très bientôt : j'espère avoir rempli mon devoir de Maître, et je prie à présent pour que mon élève soit prêt à faire face à ce qui nous attend tous.

-          Tout cela est la volonté des dieux, Salha. Jabu n'échappera pas à son destin. En lui enseignant cette technique interdite par Athéna, tu es allé dans le sens de ma prédiction : son ultime défaite sera aussi son ultime victoire... »

La vieille femme posa alors sa petite main ridée sur le front de Jabu, murmura quelque chose puis s'en alla, non s'en rajouter :

« Voilà un dernier cadeau, petit Chevalier, car je te devais bien ça... A ton réveil tu auras tout oublié de ma prédiction, jusqu'au jour où ton destin devra s'accomplir. Tu retrouveras demain ton orgueil et tout ce qui faisait ta force... Puisse la Bénédiction de la Licorne te protéger à jamais. »

 

Puis Jabu se réveilla, le lendemain matin, il endossa son armure pour la première fois, puis il rentra au Japon la semaine suivante. Un mois plus tard, il participa à son premier combat au Tournoi Intergalactique, un duel qui se solda par sa première victoire...

 

   
         
   

Il s’éveilla péniblement.

Il était encore vivant. Il regarda autour de lui. L’arène. Les piliers de roche noire aux sommets enflammés.

Les Chevaliers d’Athéna.

Les Berserkers d’Ares.

Et son adversaire.

Etendu sur le sol, il était plongé dans l’inconscience, ou peut-être était-il mort, il ne savait pas. Sa vue était encore trouble après ce qu'il venait d'endurer. Leurs armures elles aussi avaient disparu, et dans l’air voletaient encore d’infimes fractions de poussière d’étoile.

Il se leva, non sans chanceler un bref instant.

Le Duelliste se tourna alors vers les deux trônes. Il croisa les regards surpris d'Athéna et d'Ares, et se tourna vers la chose qui attirait tant leur attention, et il vit alors un deuxième corps, étendu non loin de celui du Chevalier de la Licorne.

C'était Seiya. Son corps était aussi pâle que celui de Jabu, bien que son armure soit quant à elle parfaitement intacte.

Le Duelliste s'approcha lentement d'eux deux, puis il comprit.

Seiya s'était interposé, et, au moment de l'Ultime Sacrifice de la Licorne, avait fait don d'une part de son énergie vitale, de sa propre Poussière d'Etoile, pour les sauver de l'annihilation.

C'était pour cela qu'il avait survécu.

Qu'ils avaient tous les trois survécu.

Son cœur se serra, alors que tout cela s'imposait dans son esprit. Il y avait bien une parade à l'Ultime Sacrifice, mais une parade qu'il n'avait pas entrevue, à laquelle il n'aurait pas pu penser, parce que cela requérait une pureté de cœur et d'âme qu'il n'avait pas...

Il suffisait de donner une part de sa propre vie à son adversaire : le sacrifice de l'un devait être contrebalancé par le sacrifice de l'autre...

Oui, il était bel et bien vaincu, mais il en concevait non seulement de la tristesse, mais aussi de la honte. Son propre idéal d'honneur et de perfection martiale lui paraissait bien insipide à présent... Ces Chevaliers d'Athéna, s'ils n'avaient la puissance brute, avaient la pureté du cœur pour eux.

Il s'inclina alors devant Ares, sans un mot, puis alla s'agenouiller devant Jabu et Seiya. Il tendit un bras vers chacun d'eux et concentra sa cosmo-énergie. Une aura écarlate s'écoula lentement de son corps et couvrit les deux Chevaliers. La Rune d'Ares qui luisait à son front perdit peu à peu de son éclat, jusqu'à complètement disparaître.

Lorsqu'il se leva, Jabu et Seiya avaient repris des couleurs, bien que toujours inconscients. Le Duelliste leur avait offert sa propre puissance, cette part de son essence qui avait fait de lui un Berserker : il venait de leur faire don de sa propre cosmo-énergie, et ne le regretterait pas, en effet. Il en allait de son honneur que de s'acquitter de sa dette, même si cela signifiait pour lui la perte de ses pouvoirs...

Encore une question d'honneur.

Jabu d'abord resterait bien en vie, mais ses capacités ne seraient plus jamais ce qu'elles avaient été, recouvrant à peine son pouvoir de Chevalier de Bronze. Il survivrait, c'était l'essentiel. Il aurait souhaité faire plus, mais c'était impossible.

Seiya verrait quant à lui son pouvoir s'accroître de beaucoup, renforcé par l'aura du Duelliste qui venait de s'offrir à lui. Seiya lui devait une revanche mais il ne l'aurait sans doute jamais, il s'en ferait une raison.

A eux deux, il leur devait cela, le Duelliste le savait.

Il leur devait la vie.

Le Berserker savait aussi que ce qu'il venait de faire l'exposait au courroux du Seigneur Ares, car un tel geste, donner sa force à un Chevalier d'Athéna alors qu'ils étaient ennemis et en guerre, constituait un grave acte de trahison envers Ares... Mais lui aussi saurait affronter son destin.

Il se leva donc, et s'adressa à toute l'assemblée :

« J'ai été vaincu, et ne suis plus digne d'être l'un des guerriers d'Ares. Je renonce par conséquent à mon rang de Berserker. »

Ces quelques mots arrachèrent des murmures aux Chevaliers d'Athéna. Les autres Berserkers restèrent quant à eux aussi silencieux que des tombes. Ares se leva alors, et répondit d'une voix étrangement calme :

« J'accepte ton choix, guerrier, et désormais tu n'es plus le Duelliste. »

Le vaincu se mit alors à chanter, d'une voix mélancolique, et une colonne de lumière s'échappa de lui pour frapper les nuages nocturnes alors qu'il levait les bras au ciel : il venait de libérer les âmes dont il était le gardien, et dans toute l'Europe du Nord, nombre de gens revinrent à la vie, comme sortis d'un long rêve étrange. Tous ressentirent une étrange tristesse, comme à la perte de quelque chose de cher.

Puis celui que l'on connaissait jusqu'alors sous le nom de Duelliste recula et disparut à son tour dans les ténèbres...

Il était redevenu homme.

 

   
         
 

 

Le vieux chevalier d'Argent huma le vent sec qui lui portait des nouvelles de son élève. La vieille diseuse de bonne aventure grogna à côté de lui et ricana.

« Son destin s'est effectivement accompli, mais j'avoue être surprise par le dénouement. Vous autres Chevaliers d'Athéna savez être si imprévisibles... »

Salha se contenta de sourire, mais son visage reprit vite sa gravité d'homme aveugle.

Oui, Jabu avait réussi, mais à quel prix ?

Son apprenti ne connaîtrait jamais la gloire malgré son immense sacrifice, celui de perdre justement sa force de Chevalier, celle qui aurait pu faire de lui l'un des plus vaillants protecteurs d'Athéna, celle qui justifiait son existence et sans qui désormais il ne pourrait plus accomplir la mission qui lui avait été confiée. C'était injuste, mais...

Mais tel était son Destin, celui de tous ceux qui furent bénis par la Licorne, l'Etoile de la Pureté et du Sacrifice...

Lui-même en savait bien quelque chose, car il avait lui-aussi revêtu cette armure dans sa propre jeunesse, avant de devenir le Chevalier d'Argent que tous respectaient aujourd'hui.

Il fallait l'accepter, et il savait que Jabu l'accepterait.

Salha trembla, malgré la chaleur étouffante du désert. La bataille contre Ares était loin d'être terminée, et il restait bien des combats à mener, et à gagner.

Il pria alors, pour la Chevalerie.

Pour Athéna.

Et à ses côtés rugit le rire aigre de la vieille diseuse de bonne aventure...