XIII

 

   
 

La brume du matin commençait de se dissiper, et la claire lumière de l'aube illumina la grande cascade de Rozan.

Une petite silhouette, sise là depuis plus de deux siècles, contemplait le paysage sur un promontoire rocheux. Le vieux Maître de Shiryu, Doko, vénérable Chevalier de la Balance, veillait depuis tout ce temps, attentif et concentré sur la mission qu’il avait reçue d’Athéna.

Le réveil d’Ares était prévisible, de même que le terrible affrontement qui s’annonçait. Le vieux Maître avait vécu la dernière Guerre Sainte. Il avait affronté les Légions des Berserkers, puis les Spectres d’Hadès. Et il avait survécu.

Seul un autre Chevalier d’Athéna avait survécu avec lui, le Chevalier du Bélier de l’époque, qui devint le maître de Mü, son actuel successeur : devenu Grand Pope, il avait été assassiné par Canon des Gémeaux...

Doko était donc le dernier témoin de la précédente Guerre Sainte, le seul donc à se souvenir…

Une présence familière parvint à lui : son disciple, le jeune Shiryu, était revenu, sans doute pour lui demander conseil.

Mais il n’avait guère de choses à dire. Le poids de son péché était lourd, et l’Aigle Rouge viendrait bientôt.

Oui, le Rapace aux Ailes de Sang viendrait, et lui demanderait de payer pour son mensonge et sa trahison…

 

   
         
 

 

Il gisait au sol, plein de souffrance, le souffle court sous la peine de l'agonie. Ses blessures, mortelles pour tout individu normal, n'en finissaient pas de lui brûler la chair, et l'âme.

L'Aigle Rouge se tenait à quelques pas de lui. Son armure, rehaussée d'une paire d'ailes écarlates, brillait d'une aura sombre et malsaine, et l'odeur du sang imprégnait si fortement chaque parcelle de la Furie qu'aucun homme normal n'aurait pu supporter sa présence sans défaillir. Le Berserker s'avança, et toisa son adversaire qui baignait dans son propre sang.

«  Chevalier de la Balance, ton heure est venue. Tu seras le premier Chevalier d'Or que les Légions d'Ares élimineront dans cette guerre... »

La Croisade d'Ares avait à peine commencé, mais grand déjà était le nombre des victimes. Doko avait été envoyé pour la paix. Athéna ne comprenait pas les raisons qui avaient poussé Ares à lui déclarer une guerre si soudaine. Le Chevalier d’Or trouva la force de parler :

« Berserker… les raisons de l’offensive d’Arès... Quelles sont-elles ? Pourquoi attaquez-vous..? L’équilibre des forces est en place depuis un moment, pourquoi le remettre en cause seulement maintenant ?

-          Chevalier d’Or, je reconnais dans tes paroles toute la fourberie de ta Protectrice... Derrière leur naïveté et leur candeur, les Chevaliers d’Athéna ont toujours su, mieux que nous, Berserkers d’Arès, cacher toute leur malice... Va dire à Athéna que le Seigneur Arès a eu vent de sa trahison, et qu’il saura réclamer son dû : je vais t’épargner pour l’instant, mais ton heure viendra, je te le jure...

Aigle Rouge ! Je... Attends ! »

 

   
         
 

 

Il réfléchissait, songeant à ce que le Chevalier d’Athéna lui avait dit. C’était étrange, mais il lui semblait sincère, chose rare chez les Chevaliers.

L’Aigle Rouge passa en revue dans son esprit ce qu’il venait d’apprendre.

Ainsi donc, Athéna n’y serait pour rien. Si c’était un mensonge, il était énorme, mais le mensonge était trop gros pour que l’autre lui dise cela, surtout alors que sa vie était entre les mains du Berserker...

Si ce n’était pas elle, qui alors ? Qui avait pu commettre ce crime ? Non, effectivement c’était trop évident : Athéna semblait une coupable toute désignée... Connaissant son Seigneur, et ce que d’autres pouvaient croire de lui, tout ceci aurait été fait pour le manipuler, et provoquer une guerre ? Cela devenait inquiétant.

Il en parlerait au Stratège, et ils tacheraient de découvrir le fin mot derrière toute cette histoire. 

Pour l’instant, il fallait continuer le plan dans ses grandes lignes : les Légions étaient déjà en route pour le Sanctuaire d’Athéna... Il avait confiance en leurs capacités : de toute façon, ces Chevaliers d’Athéna méritaient une leçon...

 

   
         
   

 

Shiryu inspira profondément l’air de ce lieu si familier, et embrassa le paysage du regard. Tant de beauté et de grandeur réunis…

Oui, il aimait profondément cet endroit. La grande cascade inspirait puissance et sérénité, un trait qu’il retrouvait dans l’aura de sa propre armure, l’armure du Dragon.

Un rire léger se fit entendre. Shunrei !

Elle laissa là ses occupations, et courut à sa rencontre. Elle lui sauta au cou : elle s’était tellement inquiétée pour lui pendant la Bataille du Sanctuaire ! Enfin elle le revoyait, sain et sauf !

« Shiryu ! Tu as recouvré la vue ? ! ! »

L’étonnement de la jeune fille était visible, mais une joie indescriptible vint éclairer alors son jeune visage.

« Oh, Shiryu, je suis si heureuse ! »

Des larmes coulaient le long de ses joues : son souhait le plus cher avait été exaucé…

Shiryu et elle rentrèrent, et le jeune Chevalier alla saluer son maître, laissant Shunrei les attendre. Le vieil homme était toujours à sa place, qu’il n’avait jamais quitté. Shiryu s’inclina.

« Maître, je tenais à vous saluer. Comment allez-vous ?

-          Shiryu, inutile de perdre du temps ainsi, je connais la raison de ta venue…

-          Maître, Arès est revenu sur Terre, et ses Berserkers nous ont provoqué ! Toutes ces éruptions volcaniques étaient son œuvre… Athéna a été blessée il y a trois jours, et n’a toujours pas repris connaissance ! Je suis revenu pour vous demander conseil : la situation est…

-          Shiryu, je ne peux pas t’aider.

-          Mais Maître, pourquoi ?

-          Je ne peux t’aider parce que… 

-          …Parce que tu n’es qu’un sale traître ! »

Une voix grave et menaçante avait interrompu la conversation, une voix que les deux Chevaliers d’Athéna connaissaient…

« Ikki, c’est toi ? »

Shiryu, instinctivement, s’était mis en garde. Le ton de son frère Chevalier était étrange, une sorte d’écho couvrait le fond de sa voix. Il chercha autour de lui et le vit enfin, perché sur un pic rocheux. Shiryu commença à s’inquiéter lorsqu’il remarqua qu’Ikki ne portait pas l’armure du Phénix, ou plutôt, que l’armure du Phénix avait changé : une armure rouge, à la teinte de sang. De grandes ailes écarlates étaient ployées dans son dos.

Son inquiétude s’accrût lorsqu’il remarqua que les yeux d’Ikki étaient aussi rouges que son armure.

« Chevalier de la Balance, je suis ici pour réclamer vengeance de ce que tu m’as fait il y a deux cent cinquante ans… Toutes ces années j’ai accepté de servir la cause d’Athéna en instillant ma force dans l’esprit du Phénix, croyant obtenir un jour mon repentir, mais c’était faux ! Tu m’as menti, et tu t’es servi de mon sacrifice ! Voilà deux siècles que je sers le mauvais camp ! Deux siècles de tromperie et de mensonge !

-          Que dis-tu, Ikki ? Que se passe-t-il ? Que t’est il arrivé ? »

L’Aigle Rouge tourna son regard vers le Chevalier du Dragon qui avait osé intervenir. Son regard se fit glacé alors qu’il considérait Shiryu de son promontoire. Soudain, une aura violente jaillit du Berserker, et détruisit la roche sur laquelle il se tenait. Lévitant dans les airs, il rassembla alors une énorme masse d'énergie, et la déploya en une sphère écarlate. Visant le Chevalier d’Or de la Balance, il lança l’impressionnante sphère.

Shiryu s’interposa rapidement, et résista de toutes ses forces, ses pieds ancrés au sol labourant la terre sèche. Il fut emporté. Le jeune Dragon crut son heure venue, quand il sentit l’aura de son Maître le soutenir. La sphère s’effilocha, et l’énergie écarlate se dissipa dans les airs.

La voix du vieux Maître se fit entendre.

« Shiryu, ne t’expose pas inutilement. Ceci n’est pas ton combat… Le guerrier que tu vois n’est pas Ikki, mais un Berserker. L’esprit de celui que l’on appelait autrefois l’Aigle Rouge a pris possession du corps du Chevalier Phénix, et ne le quittera plus. Considère le comme perdu… »

Shiryu ne parvenait pas à y croire. Ikki, un Berserker ? Comment était-ce possible ?

La voix d’Ikki-Aigle Rouge répondit à celle du Maître.

« Effectivement, je ne suis pas Ikki. Et puisque tu es là, petit Chevalier, laisse moi t’apprendre moi-même qui je suis : je suis l’Aigle Rouge, l'esprit du Dévoreur, l’un des neuf Berserkers d’Arès… J’ai servi le Seigneur de la Guerre pendant des millénaires, jusqu’à la dernière guerre sainte d’il y a maintenant plus de deux siècles : j’ai été trompé à l’époque, et on m’a poussé à trahir mon seigneur au profit de ta pathétique protectrice…

Ayant perdu toute allégeance, j’ai choisi d’immoler mon corps et mon âme, mais Athéna me proposa de revenir, et j’ai fait l’erreur d’accepter...

J’ai accepté de fusionner ma puissance avec celle du Phénix, unissant des pièces de ma Furie avec celles d’une armure de Chevalier ! La nouvelle armure qui naquit ce jour là devint l’une des plus puissantes de tout l’ordre de la Chevalerie, dépassant de loin son statut d’armure de bronze.

Puis j’ai attendu deux siècles durant, mais aucun mortel digne de ce nom n’a su mériter cette armure, jusqu’à celui que tu appelles « Ikki ». Celui là s’est montré digne de revêtir le Phénix, et a su utiliser au mieux toute la puissance mise à sa disposition… Il était si brillant que c’est lui que je choisis pour pouvoir me réincarner : seul lui méritait cet honneur…

Désormais, c’est moi qui occupe son corps, et tu ne le reverras jamais.

A présent, meurs, Chevalier ! »

L’Aigle Rouge prit une posture similaire à l’attaque des Ailes du Phénix, et lança son attaque. Shiryu, qui connaissait cette technique, s’attendait à pouvoir la parer aisément.

« Par les Ailes Sanglantes et les Serres Ecarlates! »

Un véritable déluge d’énergie grésillante emplit l’atmosphère, et commença à se tordre en tourbillons dévastateurs, formant des bourrasques d’un vent à la fois bouillonnant et chaotique. Les Ailes du Phénix n’étaient que du vent à côté : c’était là toute la force d’un Berserker qui se retrouvait déployée.

Shiryu tenta de résister, il savait qu’il en était capable : il avait vaincu les Chevaliers d’Or du Cancer et du Capricorne dont la puissance égalait celle de ce Berserker. Il le pouvait, il en était certain !

Le Chevalier du Dragon encaissait la puissance de l’attaque, mais ne parvenait pas à contre-attaquer : les bourrasques étaient trop puissantes pour qu’il esquissât un geste sans recevoir de coup fatal. Il sentait son Maître, derrière lui, qui observait. Non, il ne faillirait pas ! Il grogna, et réussit à joindre les poings. Il se concentra, et tenta de sentir les courants d’énergie tourbillonnants. Plusieurs coups faillirent l’atteindre, mais une force les en empêchait : l’aura du vieux Maître le soutenait !

Soudain, d’un coup de poing, Shiryu déchira les champs d’énergie, et fendit l’air dans un sifflement aigu. L’impact toucha l’Aigle Rouge au front, et son casque tomba.

Telle la cascade de Rozan, les courants d’énergie du Berserker s’étaient inversés, frappant celui qui les avait générés..!

Un calme mortel retomba, et seul le grondement de la cascade autrefois vaincue par Shiryu se faisait entendre… Le Dragon et l’Aigle Rouge se foudroyaient du regard.

Un rire brisa la concentration des combattants : un autre Berserker !

Shiryu se retourna : il avait déjà des difficultés avec Ikki-Aigle Rouge, et si un deuxième Berserker venait s’en mêler…

Le nouvel arrivant était vêtu d’une armure de la même teinte écarlate que toutes les furies, mais elle était plus fine, et semblait bien plus légère que celle de l’Aigle Rouge. Une rapière étincelante pendait à son côté. Son visage, jeune et beau, montrait un sourire charmeur.

« Duelliste, que fais-tu ici ? Ceci ne te regarde pas !

-          Voyons, Aigle Rouge, ne te fâche pas pour si peu… Je ne suis pas ici pour intervenir dans tes affaires, mais seulement pour te prévenir que le Seigneur Arès rappelle à lui tous les Berserkers… »

L’Aigle Rouge grogna, mais sembla se résigner.

Celui que l’on appelle le Duelliste se tourna alors vers Shiryu.

« Toi aussi, jeune Chevalier, tu es demandé. Ta participation au prochain tournoi entre les Berserkers et les Chevaliers d’Athéna est requise…

-          Un tournoi ?

-          Oui, un tournoi. Retourne donc en Italie, là où ta protectrice repose : son réveil est pour bientôt, sois en assuré. Alors, le Tournoi pourra commencer… »

Le Duelliste fit quelques pas vers Shiryu, et l’inspecta, puis dit finalement :

« Je sais que Seiya a disparu, mais fais en sorte qu’il revienne, et participe au Tournoi. Il m’a vaincu une fois, et j’ai une revanche à prendre… Dis lui simplement que le Duelliste l’attend. »

Et les deux Berserkers s’en allèrent, laissant le lieu aussi calme et paisible qu’il n’était avant leur arrivée…