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II.
Sombre héritier
"Prince Pyram ?
- Oui ?
- Sa Majesté Caleh votre père vous a fait quérir. Il vous attend dans sa tente en ce moment-même.
- Bien, dites-lui que j’arrive tout de suite. "
Il soupira, lissa sa plume avant de la replonger dans l’encre noire, puis reprit le cours de sa lettre.
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"Chère Mère,
Les événements se précipitent.
L'île-cité de Beltando a trahi la Couronne, et s’est rallié à la sombre bannière de Kerlande: l’Empire de Fer Noir, en trahissant tous les traités, vient d’envahir la Ligue des Cités Libres, et nos terres
sont ses prochaines cibles…
La félonie de Beltando nous a fait perdre l’avantage du terrain, mais nos généraux redoublent d’intelligence pour compenser nos faiblesses, et à présent, seul le jugement des armes pourra départager les deux armées… Les combats font rage depuis trois jours
sur nos côtes, et les pertes se font nombreuses dans chaque camp. Aujourd’hui sera la bataille décisive : Père mènera nos armées face aux Légions Kerlandaises, et je serai à ses côtés.
Attentif dans l’attente, je sens étrangement ma force et ma résolution croître d’une façon que je n’avais jamais connue, alors que je contemple chaque jour les résultats des exactions de l’armée de Fer Noir. Notre peuple a besoin de nous –
mon devoir se fait chaque jour plus pressant. Et mon poing alors se resserre, et mes yeux se font froids, tel l’acier qui compose la lame de ma lance.
Ainsi que le chantait Grand-père : |
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Je me battrai, car tel est mon devoir.
Pour ma Mère.
Pour mon Père.
Pour mes Enfants.
Je me battrai, sans pitié.
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L’heure du combat approche, et je me dois d’interrompre prématurément cette lettre. Mère, priez donc pour nous, car l’enjeu est immense : c’est le destin de notre royaume
qui est en jeu.
Croyez-moi, je me battrai. |
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Votre Fils Bien Aimé.
"
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Pyram posa enfin sa plume, plia soigneusement la lettre et la cacheta.
Il se leva alors, et sortit de sa tente rejoindre son père.
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Le roi Theram de Caleh était assis, immobile, face à la pile de plans et de notes de bataille qui encombrait tout un
pan de sa table. Il contemplait la carte des lieux où les deux armées allaient aujourd’hui s’affronter, reprenant chacun des points de la stratégie qu’il avait mise au point la veille avec ses généraux. C’était risqué, mais cela valait sans aucun doute la peine d’essayer.
Ses troupes commençaient à fatiguer, et il était temps d’en finir.
Puis son regard se posa sur son bras gauche, cherchant une chose qui n’y était plus.
Il soupira. Voilà vingt ans qu’il avait perdu sa main contre Delt, le
Sombre Dragon.
Vingt ans…
Il avait vieilli, bien que le plus gros de sa force fût encore intact. Son visage buriné
et ses cheveux gris trahissaient le poids des années, et Pyram, son fils, était devenu un homme… Quelqu’un dont il était très fier, même.
Et pourtant, il sentait que quelque chose, chez son fils, n’allait pas.
L’âme de son héritier était pure, et loyale – mais si froide, aussi froide que
l'acier.
Son fils souriait rarement, sinon en présence de sa mère. Il ne lui connaissait aucune passion sinon l’art des armes, et il ne
lui savait que peu d'amis. Et toujours, il restait impassible, sans émotions. Ni joie ni colère. C’en était presque effrayant, même pour lui, qui était Roi.
Une complète absence de sentiment autre que le sens du respect et du devoir.
Et c’était là ce qui l’inquiétait le plus.
Le cœur de son fils était si… froid. Il se demanda à quoi
ressemblerait la rage de Pyram, si jamais il sombrait vraiment dans la
colère. Un spectacle qu'il redoutait, et devinait effrayant.
Il se rendait bien compte cependant, que le Destin n’abandonnerait pas
les desseins qu'il avait tissés pour son fils, quoi qu’il fasse, et que l’heure finale approchait. Il avait beau
avoir uni les terres qui constituaient désormais son royaume, certaines choses ne se
plieraient jamais à sa volonté. Alors il ne pouvait plus qu’attendre, et se préparer.
Il se remémora les derniers mots du Dragon avant qu'il ne meure, et repensa
au regard de la bête, un regard glacé, aussi froid que ses écailles. Il
pensa ensuite au regard de son fils. Oui, le Destin était bien cruel.
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Le Prince Héritier
entra calmement, d'un pas posé. Theram s'avança et posa sa seule main sur l’épaule de son
fils alors qu'il approchait, et lui murmura alors quelques mots à
l'oreille. Pyram, surpris par ce geste, ne sut quoi répondre, ne saisissant pas
les dernières paroles cryptiques de son père. Il répondit seulement,
avec respect:
« Je… Je vous le promets, Père… »
Alors Theram de Caleh sourit à nouveau à son fils, comme si c’était la dernière fois qu’ils se voyaient, un sourire triste et grave. Il regarda les yeux de son fils – d’un bleu aussi sombre que ceux de son épouse. Et dotés du même éclat froid que ceux du…
Un appel parvint soudain à la tente, ils se retournèrent et un
chevalier officier leur déclara précipitamment que l’aube approchait, et que le moment de la bataille était proche. Le roi regarda son vassal, et acquiesça, avant de se retourner vers son fils, le regard
grave.
Ils se séparèrent, sans parler.
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Une grande giclée de sang éclaboussa la Grande Bannière
Nuit et Or de Caleh, puis, un instant, tout sembla se figer autour d’eux.
Ils virent leur Roi tomber sous la frappe de l’ennemi.
Les Chevaliers frémirent, devant un événement qu’ils ne pouvaient concevoir.
Le Roi était tombé.
Le sourire mauvais de son adversaire acheva de les abattre. Brandissant une hache immense, il hurla sa victoire, et soudain ce fut le silence à travers tout le champ de bataille. Le Prince Héritier Gailmark de Kerlande, fils aîné de l’Empereur de Fer Noir, venait de vaincre en duel
Theram de Caleh, Premier Roi et Unificateur de Caleh !
Le cœur des Calehi se serra. Le doute était là.
Ils allaient perdre.
Puis un terrifiant cri de rage brisa le silence.
Un rugissement de colère et de haine.
Et tous virent s’élever, haut dans le ciel, la silhouette d’un homme aux ailes membraneuses, une lance dans la main droite,
le bras gauche couvert d'écailles métalliques. Et tous virent les couleurs de son armure, bleu nuit et or.
Les couleurs de Caleh.
La lance était celle du Prince Pyram.
Alors, à cette vue si incroyable, les Calehi reprirent courage, et une grande clameur s’éleva parmi les soldats du Jeune Royaume. Non, ils ne baisseraient pas les bras.
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La bataille fit rage, et il y eut un vainqueur.
La Bannière de Kerlande tomba. L’heure de la retraite pour les
Légions de Fer Noir avait sonnée, alors qu'un sanglant massacre
mené par le nouveau Roi de Caleh fut entamé. Grande fut sa fureur,
et le sang qui coula en ce jour teinta à jamais de rouge le sable
blanc des rives nord du Jeune Royaume.
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Il s’agenouilla devant le cercueil d’ébène orné d’ivoire, et
pria, pour la première fois de son existence.
Il s’adressa à l’âme de son père, lui demandant force et courage pour les événements qui allaient survenir.
Les Légions de fer Noir avaient été repoussées des rivages de leur
royaume, mais cela ne suffirait pas. Sa colère ne s'était pas atténuée.
Vengeance allait être faite. Et
Beltando serait la première à payer.
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