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Ame
Draconique |
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I.
Père Fondateur
Le sol soudain se mit à vibrer alors que la gigantesque créature se redressait de toute sa hauteur, dominant de sa taille la vaste étendue de la caverne. De sombres éclats métalliques transperçaient parfois les ténèbres, trahissant les luisantes écailles reptiliennes du monstre qui guettait, silencieusement, dans l’obscurité. Les pupilles de la créature s’étrécirent enfin, pour mieux cerner le téméraire petit humain, un être assez fou pour venir l’affronter ici, dans son antre…
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Theram se tenait sur un promontoire rocheux, seul, face au dragon.
Le pied gauche en avant, bien campé sur ses jambes, il brandissait sa lourde épée de son seul bras droit, légèrement replié vers l’arrière, tandis que sa main gauche pointait vers l’avant, désignant la sombre créature. Son regard se durcit, et sa lame visa silencieusement le cœur de sa cible.
Le jeune homme s’adressa alors au dragon, d’une voix forte et claire :
"Ton heure est venue, Sombre Dragon, Tu ne maudiras plus mes terres par Ta présence !"
L’écho de cette semonce eut le temps de parcourir trois fois l’antre du monstre avant que celui-ci ne réponde enfin, d’un petit rire menaçant et rauque, un rire qui frappa directement l’esprit de
Theram, lui vrillant le crâne d’une sourde menace.
Car les dragons ne s’expriment pas par la voix, mais par leur seule volonté.
"Huh huh huh…
Vous autres humains êtes si arrogants…
Que crois-tu pouvoir faire contre moi ? L’âme des dragons est immortelle. Même si tu me tues aujourd’hui, je reviendrai…Et je me vengerai…"
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Theram
crispa le poing sur son épée, serrant les dents : les échos de
la volonté du dragon tonnaient sous son crâne, et il se força
à ignorer la douleur. Il entrouvrit alors sa main gauche, révélant
ce qu’il y maintenait caché.
La pierre entre ses doigts se mit alors à luire d’un éclat
vif, répondant à la présence menaçante du dragon.
"Ce cristal scellera à jamais Ton âme, Dragon, ainsi Tu ne
Te réincarneras pas, et mon pays sera libre !"
Un terrifiant grondement de colère parcourut la caverne lorsque
la bête comprit la menace que cette pierre représentait pour
lui. D’énormes fragments rocheux tombèrent çà et là alors
que le cri du dragon fit vaciller les parois de granit, fissurant
le sol et le plafond de profondes lézardes. Theram reçut
l’onde de choc du hurlement draconique de plein fouet mais tint
bon, alors que le promontoire où il se tenait se fendait de toute
part, menaçant de s’effondrer à tout moment.
"Je t’en empêcherai, humain, jamais tu ne me tueras !"
Sa tête lui faisait mal, mais il était temps de se battre.
Theram resserra son étreinte sur l’épée de son père, et se
jeta au combat. L’immense créature avait beau le dominer de sa
taille titanesque, il comprenait l’importance de ce duel. Des
vies dépendait de sa victoire. Il devait vaincre.
Pour son royaume.
Pour son peuple.
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Le souffle méphitique
du dragon l’enveloppa alors qu’il s’accrochait tant bien que
mal à son épée, qu’il venait de ficher sur le poitrail de l’énorme
créature. Le sang du dragon luisait d’une étrange lueur écarlate
alors qu’il s’écoulait en abondance de la blessure.
Theram ressentit soudain un grand froid alors que ce liquide épais
inondait ses vêtements, s’immisçant malgré sa lourde armure. Il
respirait bruyamment, tant l’effort était difficile, mais il
tenait bon.
Il y était presque.
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Le dragon s’agitait dans tous
les sens, sa rage attisée par ce moucheron humain qui osait le provoquer,
mais le monstre millénaire avait beau lutté, la lame plantée dans son cœur
ne tarderait pas à l’achever. Il sentait venir l’issue fatale de ce
combat.
Après tant de siècles, allait-il finir ici, son âme aspirée dans cette
pierre, emprisonnée pour l’éternité ?
La lumière du cristal s’amplifiait, aspirant inéluctablement sa force : au
moment venu, l’humain n’aurait qu’à plonger la pierre dans ses viscères
pour capturer son âme de dragon, alors que s’échapperait son dernier
souffle, et tout serait fini.
Il refusa cette idée. Jamais un dragon ne se plierait aux lois humaines...
Non, jamais.
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Theram
hurla de douleur, alors que la mâchoire du dragon, d’un brusque
claquement, sectionna son poignet gauche. Du sang chaud, du sang
d’humain, gicla sur les écailles de métal sombre, suintant
lentement jusqu’à se mêler à celui de la bête. Exténué, le
jeune guerrier lâcha prise et tomba au sol. Il se rattrapa
maladroitement, tentant de fuir la masse imposante du dragon
agonisant.
"Non, le cristal !"
La gueule du monstre s’était effectivement refermée sur la
pierre, qui brillait à présent tel un petit soleil, dardant ses
rayons dans toute la caverne, l’illuminant pas endroits, la
plongeant dans les ténèbres en d’autres. Le cou du dragon se
redressa sous la douleur, brûlure intense d’un artefact conçu
pour sa seule destruction, et déploya ses ailes membraneuses qui se
fracassèrent contre les parois de la grotte.
"Tu m’as vaincu, Humain, bravo…
Pour l’instant, savoure bien ta victoire…
En attendant mon retour…
Car l’âme d’un dragon est immortelle…
Je te retrouverai…
Et je te tuerai…"
Soudain, la pierre dans la gueule du dragon explosa, et mille
fragments cristallins jaillirent dans toutes les directions,
transperçant le crâne épais de la bête, puis, enfin, l’énorme
masse reptilienne s’effondra sur le côté, fendant le granit.
Le silence se fit, absolu.
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Theram
marchait avec peine, la douleur de son poignet amputé l’écrasant
de vagues de douleurs successives. Le poids de l'épée qu'il avait
lui-même forgée se fit croissant sur son dos, alors qu’il
progressait lentement vers la lumière du dehors.
Il avait échoué.
L’âme du dragon était toujours libre, et elle reviendrait, tôt
ou tard, hanter son pays.
Il serra les dents, jusqu’à en avoir mal.
Il sentit de l’air frais lui caresser le visage, la sortie n’était
plus guère loin.
Puis ce fut l’éblouissement.
Il était dehors.
Ses gens l’attendaient. Des hommes d’armes et des valets. Des
chevaliers et des paysans.
Et sa femme.
Tous l’attendaient.
Il brandit sa lame, qui luit d’un vif éclat au soleil.
Une grande clameur, de bonheur et d’allégresse, emplit l’air,
et, portée par le vent, annonça au royaume entier que son jeune
roi, Theram de Caleh, unificateur de la grande île qui portait son
nom, avait finalement vaincu le dragon.
La reine alors, en dépit de toute convenance, courut à sa
rencontre et l’étreignit, lui arrachant un soupir de douleur et
de joie.
Il lui rendit son sourire, et l’embrassa.
Repensant plus tard au dragon, il se rendit compte qu’il n’avait
fait que repousser une échéance- mais il saurait se préparer.
Pour la prochaine fois.
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Mon âme gît, au milieu du néant.
Maudit soit cet humain qui m’a arraché la vie !
Je saurais me venger, de la meilleure façon…
Mais le moment n’est pas encore venu…
Je suis trop faible… trop faible pour renaître dragon…
Il me faut un corps d’emprunt, un hôte…
Et attendre…
Mon esprit sonde l’espace…
Cette humaine…
Elle porte un enfant en son sein…
Je n’ai pas le choix…
Malgré ma rancœur…
Mon âme se disperse déjà…
Bientôt il sera trop tard…
Ma vengeance attendra.
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Theram
s’attarda sur le visage de sa femme, si doux, si fragile. Il contempla les
yeux bleus de son épouse, profonds comme la nuit, les longues boucles brunes
de ses cheveux, et le teint légèrement satiné de sa peau. Elle lui adressa
un sourire en voyant qu’il la regardait, et l’embrassa légèrement,
encore une fois, pleine d’attention.
Il l’aimait, éperdument.
Il ne savait pas encore qu’elle attendait un enfant de lui, mais quand il le
saurait, de grandes festivités seraient organisées pour fêter cette grande
nouvelle, coïncidant avec l’annonce de sa victoire sur le dragon. Il serait
heureux alors, bien que son combat n’aura été qu’une demi-victoire…
Et vingt années s’écoulèrent, dans un bonheur tranquille.
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