IV

   
  "Les événements se précipitent, Kublai, le Grand Khan est en tournée dans le Sud - nous ne le rejoindrons pas avant trois jours de galop... 
- Alors il nous faut partir tout de suite, Wedrech, prête-moi tes meilleurs chevaux et quelques hommes, Gaori doit être arrêté ! 
- Ne t'inquiète pas, j'avais déjà fait préparer le nécessaire en vue d'une partie de chasse. Ouarlong et Subodai sont nos meilleurs éclaireurs, et ils t'accompagneront. Vous pouvez partir immédiatement. 
- Merci Wedrech." 

Le mage et ambassadeur Faucon alla retrouver Ouarlong, le chef Eclaireur, qui discutait avec Subodai. Peu de mots furent échangés, ils savaient quoi faire. En quelques minutes, ils étaient déjà loin du camp Faucon, son troupeau de yacks et de chevaux étant le dernier repère qu'il pouvait apercevoir à l'horizon. 

La grande Shuni s'étendait face à eux. 

 

   
         

   

"Nous y voilà, le fort que nous apercevons là bas est la Forteresse de Lao Tsui, qui a servi pendant des siècles de poste frontière et de première défense entre les terres Faucons et Scarabées. Théoriquement, c'est là que Gaori Khan frappera en premier s'il le peut. 
- La nuit tombe, hâtons-nous, nous pouvons y arriver en moins d'une heure d'ici. 
- Attends une seconde, Cairn. Les grands feux ont été allumés sur la haute tour. 
- Et ca veut dire ? 
- Ca veut dire qu'une armée est en vue. 
- Tu veux dire que... 
- Oui, ce grand feu sert de signal. Visible d'avant-poste en avant-poste, il sert à donner l'alerte en cas de guerre. A l'heure qu'il est, le Shogun et le Champion d'Emeraude doivent être au courant d'une attaque. 
- Alors, nous arrivons trop tard ? 
- Pas si je peux faire parvenir un courrier à Kaji-sama. Tu avais raison, hâtons-nous, je pourrai certainement envoyer un pigeon voyageur au Shogun de la forteresse." 

Isao Takashi attira leur attention, pointant une forme sombre du doigt, couvrant l'horizon au nord. 

"L'armée de Gaori ! Ils sont déjà là ! 
- Hum, ca s'annonce mal. Nous allons débarquer en plein siège - les défenseurs ne vont certainement pas nous ouvrir avec une menace aussi proche, s'ils ne nous tirent pas dessus à vue. 
- Nous n'avons pas le choix. Partons, vite !" 

Et les trois hommes reprirent la route. 

 

   

         
   

La nuit était tombée, l'obscurité pesant sur les Faucons encore fidèles à Gaori Khan. Et il n'y en avait plus beaucoup. 

Elle tendit l'oreille, alors que de grands éclats de voix retentissaient. Elle se risqua à s'approcher du grand feu de camp central, suivie de sa gardienne toujours aussi muette. 

Un homme au corps tatoué et vêtu de fourrures en guenille était manifestement en grande discussion avec son Khan, le montrant du doigt, et, sans doute, l'injuriant de mille facons. Elle se doutait du contenu des paroles du shaman, sans en connaitre l'exact teneur. 

"Il l'accuse d'avoir corrompu les esprits de notre tribu." 

La jeune Scarabée se tourna vers sa gardienne Faucon. 

"Les esprits du Vent sont devenus mauvais, et l'Esprit du Grand Vent, notre protecteur, s'est chargé des relents de la mort elle-même. Gaori Khan a perverti notre totem, et notre shaman est en train de l'accuser publiquement. 
- "Totem" ? 
- Le totem, le grand esprit qui nous protège. 
- Oh, votre kami protecteur ? 
- Oui, c'est cela. 
- Et... comment cela va-t-il se terminer ? 
- Si suffisamment d'hommes suivent le parti du shaman, alors Gaori sera forcé de renoncer à son statut de chef. Sinon ils partiront, et abandonneront la tribu." 

Elles regardèrent le shaman s'exciter et beugler haut et fort, projetant de grandes ombres nerveuses sur le camp. Tous le regardaient insulter Gaori. 

Au bout d'un moment, on procéda à la criée, moment où chacun exprimait son point de vue, le plus fort possible. Le shaman se mit à un bout du camp, enjoignant ceux qui le voudraient à le suivre. Deux douzaines d'hommes se mirent à son côté. 

"Si peu ? Pourquoi ne suivent-ils pas tous votre prêtre ? 
- Parce qu'ils ont tous trop peur de Gaori à présent, ils ont peur de partir et que le Khan déchaîne les morts sur eux." 

Ils virent le shaman quitter le camp, suivi de ses quelques fidèles. Ils partirent dans la nuit. Un silence total suivit leur départ - jusqu'à ce qu'ils entendent les hurlements. 

"Par Zanonai ! Les Morts qui Marchent ! Ils sont en train de les... 
- Oui, de les dévorer." 

Elle ne put s'empêcher d'avoir la nausée, bien qu'elle se soit endurcie depuis le début de sa captivité. Au bout d'un moment, elles retournèrent sous leur tente. 

"Pourquoi... pourquoi suivez-vous Gaori Khan ? 
- Parce que Gaori est mon frère." 

 

   
         
   

Kublai, Ouarlon et Subodai chevauchaient vers le sud depuis une journée à présent. Deux autres jours les attendaient avant qu'ils ne rejoignent la grande caravane en mouvement du Grand Khan Faucon. Deux jours de trop. 

Kublai ressassait sans cesse le délai énoncé par Gaori Khan - il s'en prendrait aux terres Scarabées dès aujourd'hui. 

Dès aujourd'hui ! 

"Nous arriverons sans doute trop tard", se dit-il, "beaucoup trop tard." 

Perdu dans ses réflexions, il ne s'arrêta qu'une vingtaine de mètres plus loin que Ouarlong lorsque celui-ci avait arrêté sa monture. 

"Ouarlong, que se passe-t-il ? 
- Tu ne sens rien ? 
- Que veux-tu..." 

Il avait à peine eu le temps d'entamer sa phrase quand une immonde puanteur de charnier les couvrit comme un dôme étouffant. Il dut combattre la nausée pour pouvoir rester debout, et vit le ciel se couvrir de nuages rougeoyants, un vent tiède mais fétide soulevant leurs cheveux. 

Les montures hennirent de terreur, et ils eurent un mal fou à les calmer, lorsqu'un rire rauque les accueillit. Lentement, ils virent une forme sombre sortir de terre - un cheval et son cavalier ! 

S'emparant de leurs arcs, Ouarlong et Subodai bandèrent leur arme contre l'être surnaturel. 

Le cavalier avait la chair pourrissante, tombant en lambeaux par endroit. Vêtu de l'antique tenue des cavaliers de la steppe du temps du premier Faucon, il les toisait de ses orbites vide, son rire continuant de s'échapper du trou de sa gorge. 

Brandissant un cimeterre, le cavalier se mit alors à charger. Les deux éclaireurs Faucons tirèrent - visant juste. La flèche de Subodai se planta en pleine poitrine, et celle de Ouarlong en plein ventre. 

Sans effet, car le cavalier continua sa charge, frappant Kublai qui tentait de préparer une incantation. Etrangement, il le frappa du plat de l'arme, le désarçonnant. Le mage tomba à terre dans un bruit sourd, sa monture s'enfuyant déjà au galop. 

Il se releva avec difficulté, alors que ses compagnons continuaient d'aligner les flèches - mais cavalier comme monture étaient insensibles à leurs armes. Il regarda le cavalier Mort-Vivant, qui lui parla alors, d'une voix gutturale : 

"Regarde-toi, Ô mon Descendant, n'as-tu pas honte de ce que tu es devenu ? N'as-tu pas trahi ce sang que je t'ai légué ?" 

Kublai blémit. Etait-ce là l'un de ses ancêtres ? 

"Où est donc ta fierté de guerrier ? Où sont les vertus qui faisaient la grandeur Faucon ? N'as-tu pas trahi, Ô mon Descendant ?" 

Ouarlong et Subodai tirèrent leurs lames du fourreau. Subodai s'adressa à Kublai : 

"Ne l'écoute pas, Kublai, ne vois-tu pas qu'une magie corrompue l'a ramené à la vie ?" 

Mais Kublai vacillait. 

Subodai ne trouva d'autre solution pour réveiller son compagnon que de charger le cavalier à son tour. Ils croisèrent le fer, mais l'éclaireur tomba à terre, dans un bruit sourd. 

Cela tira Kublai de sa léthargie. Le mage se mit à parler d'une voix claire : 

"Pardonne-moi, Ô mon Ancêtre, mais l'Ame Faucon n'est pas que soif de sang." 

C'est à ce moment là que Subodai se releva. levant son arme, il trancha l'une des pattes arrières de la monture morte. Déséquilibrée, celle-ci s'abattit, emportant son cavalier. 

Ce dernier se releva comme si de rien n'était, brandissant son cimeterre à l'encontre de Subodai : 

"Affronte-moi en vrai guerrier ! Approche !" 

Alors Kublai agita les mains, scandant d'une voix forte : 
"Par la Voie des Eléments, que tes pieds soient liés au sol !" 

Des gerbes d'énergie magique jaillirent sous les pieds du Mort qui Marche, lueurs à l'éclat d'émeraude, s'entortillant autour de ses jambes pour l'immobiliser. 

Le Mort hurla : 

"Traître ! Comptes-tu triompher à l'aide d'une telle fourberie ! Le sang Fau..." 

Il n'eut pas le temps d'achever cette phrase, alors que Subodai lui tranchait le bas du torse, et Ouarlong, la tête. Le mort s'effondra, son corps découpé en trois parts. 

La voix de Ouarlong répondit, grave : 

"Un Faucon recourt avant tout à la ruse pour triompher. Nous ne risquerons jamais la vie des nôtres sans être certains de gagner. La vie est trop importante pour être gâchée inutilement." 

Subodai alla aider un Kublai sur le bord de l'évanouissement. 

"Ce n'est pas ma magie qui l'a arrêté. Son aura a résisté à mon sort - quelque chose d'autre l'a immobilisé, pas moi ! 
- Du calme. Nous avons survécu, c'est le plus important. " 

Ils reprirent la route, après avoir récupéré la route, le cœur encore plus déterminé.

 

   
         
   

Les trois hommes chevauchaient le plus vite possible, s'approchant de la forteresse Scarabée. Derrière eux, au loin, ils entendaient le galop des troupes Faucons. 

"Comment Gaori a-t-il pu rassembler tant de troupes en si peu de temps ? Ca doit bien faire cinq mille cavaliers, au bas mot ! 
- Je ne sais pas comment il a fait. J'espère que les autres clans Faucons ne l'ont pas rejoint !" 

Ils arrivèrent bientôt sous les murs de l'ancienne forteresse, leurs chevaux au bord de l'épuisement. Samu Jiro hurla, brandissant son ruban de soie rouge : 

"Je suis Samu Jiro, du Clan Gogenso, Médecin de l'Académie Gogenso et membre de l'Ordre de la Soie Rouge ! Ouvrez-nous ! Nous avons un message important à faire parvenir au Shogun !" 

Deux sihouettes apparurent en haut des remparts. Elles semblèrent discuter, puis disparurent. 

Une dizaine de minutes s'écoula. 

Cairn le Loup perdit patience et se mit à frapper contre la grande porte. 

"Ouvrez, ouvrez, bon sang !" 

A nouveau, Takashi leur montra l'armée qui approcha, dans l'éclat écarlate du soleil couchant. Samu pâlit. 

"ô Zanonai, faites que ce ne soit pas vrai... 
- Des Morts-Vivants ! Gaori est venu avec une armée de Morts-Vivants !" 

Les trois hommes échangèrent un regard sans équivoque. Isao parla, pour une fois : 

"Je la sens vraiment mal cette histoire. Mais vraiment, vraiment mal." 

Et lui et Cairn se mirent aussitôt à taper plus fort sur la porte. 

"Ouvrez, bon sang, ouvrez ! On veut pas crever ici! Ouvrez, OUVREZ !" 

Samu se retourna encore une fois. 

"Nous sommes dos au mur, ou plutôt à la porte. Mes amis, battons-nous, au moins aurons nous contribué à la défense du fort." 

Et ils dégainèrent leurs armes.