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III |
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Il était seul, sous sa yourte.
Kublai s'était échappé, ainsi que le petit Scarabée qu'il avait fait kidnapper. Il ne lui restait que la fille.
Mais cela devrait suffire.
Le feu crépitait, intense au milieu de la tente. Il se leva, et y jeta une poignée d'herbes. Il devait communier avec les Esprits. Eux sauraient le conseiller.
Il s'assit en tailleur face aux flammes alors que la fumée s'épaississait, acre, mais chargée d'odeurs et d'arômes envoûtants. Il commenca à chanter, le chant que lui avait appris son père, le chant du Vent. Il se laissa aller, plus loin, encore plus loin, sombrant dans l'état de transe caractéristique de ses moments de communion avec les esprits.
Soudain, une multitude de petits tourbillons se manifestèrent, semblant danser dans les volutes de fumée, dessinant de complexes arabesques de feu et de cendres. Et les voix vinrent à leur tour.
Il se laissa bercer par leur agréable murmure, y puisant les réponses aux questions qu'il cherchait. Et parmi ces voix, l'une d'elle était plus forte que les autres - celle de son ancêtre préféré, celui que son père lui avait dit qu'il présiderait à sa destinée : Kublatai Khan.
Pour l'esprit de son aïeul, il leva son coutelas, et s'entailla la main d'un geste vif. Serrant le poing au dessus du feu, il attendit que le sang suinte. Les gouttes écarlates tombèrent au milieu des flammes, crépitantes, et la fumée vira à l'ocre, tandis que l'odeur du sang se fit plus forte sous la tente.
Les Esprits du Vent sifflèrent alors autour de lui, tourbillonnant, pris dans une frénésie exaltante, ricanant à présent de voix devenues rauques et sinistres.
Et lui aussi se mit à rire, d'une voix qui se confondit à celle de l'esprit de son ancêtre, ses yeux rougeoyant de sang...
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"Je ne peux pas la laisser là-bas avec eux !
- Samu, il y a plus important, nous devons nous rendre au plus vite auprès du Khan pour qu'il fasse arrêter Gaori, et empêcher une guerre !
- Mais..!
- Samu, elle est une otage entre ses mains, il ne lui fera pas de mal. Allons, nous devons nous hâter."
Le médecin soupira. Il l'avait stupidement oubliée, et il s'en voulait atrocement pour cela.
Kublai approcha et lui dit :
"Tu n'y pouvais rien, Samu. Ne te charge pas d'une culpabilité inutile.
- Le remord me ronge, cependant.
- Les regrets n'apportent rien de bon. Il n'y a pas de place pour les regrets, dans le cœur libre de ceux qui parcourent les plaines, et chevauchent le Vent..."
Kublai avait dit cela en souriant. Samu reconnut l'une des nombreuses sentences propres à la culture Faucon, l'une des nombreuses vérités que leurs deux cultures, malgré leur différences, partageaient.
Oui, il n'y a nul place pour le regret dans le cœur des sages. Il céda, finalement, et ils reprirent la route.
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Elle la regarda avec méfiance.
La jeune Faucon qui avait été désignée pour s'occuper d'elle depuis qu'ils lui avaient retiré ses liens ne parlait guère. Elle se contentait de rester là, sans mot dire, toute la journée. Elle s'empressait de pourvoir à ses besoins quand elle le demandait, mais cela n'allait pas plus loin.
Muette, et aussi méfiante de moi que moi d'elle, se dit-elle intérieurement.
Ils progressaient depuis trois jours à présent, vers une destination qu'elle ignorait. Elle avait beau contemplé l'horizon, elle ne trouvait aucun indice qui put la mettre sur la voie. Si seulement ils la laissaient regarder le ciel étoilé la nuit, elle pourrait au moins se faire une idée...
"Comment t'appelles-tu ?"
La Faucon la regarda sans répondre. Imperméable à toute tentative pour sympathiser, comme d'habitude.
Kenwa soupira dans son coin.
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"Au fait, Cairn, que faisais-tu au milieu des steppes Faucons ? C'est bien loin des terres de Tylos...
- En fait, j'étais en route pour rendre visite à Pimiko. Tu sais que je regrette beaucoup de n'avoir pu venir assister à son mariage, donc j'ai profité d'un moment de répit pour une petite visite...
- Ce n'est pas grave, elle ne t'en a pas voulu, et puis elle a bien aimé le cadeau que tu lui as fait parvenir pour te faire pardonner."
Cairn le guerrier-prêtre de Khrysalide sourit en biais.
"Alors, comment trouve-t-elle son manteau ? Elle n'a pas fait trop de difficulté en recevant ce tas de peaux mortes ?"
Samu Jiro et Takashi Isao rirent. Il était en effet connu que les Scarabées avaient horreur de porter de la fourrure et du cuir - l'idée de porter les restes d'une créature autrefois vivante et à présent morte leur inspirait un dégoût des plus prononcés.
"Les choses changent, tu sais, même chez les Scarabées. L'unification a bouleversé plus d'une de nos coutumes ancestrales. Pimiko a bien l'intention de mettre les fourrures à la mode, l'hiver prochain. Autant te le dire, elle raffole de la fourrure que tu lui a offerte.
- Parfait, je savais que ca lui plairait. Dis-lui quand même d'éviter de la porter en été, à cause de l'odeur.
- Ca elle s'en est déjà aperçue, crois-moi."
Et ils rirent à nouveau.
"Combien de temps nous reste-t-il avant l'attaque de Gaori Khan ?
- Cinq jours. Nous n'arriverons certainement pas à temps, malheureusement. Sans Kublai pour nous guider, nous ne progressons guère vite.
- Tu penses que le Grand Khan l'écoutera ?
- J'espère.
- Ce Gaori me parait bien insignifiant. Lorsque nous étions là-bas, dans son camp, je n'ai compté qu'une centaine d'hommes tout au plus. En quoi constituerait-il une menace ?
- Le déclenchement d'une guerre entre Faucons et Scarabées est bien la dernière chose dont nous aurions besoin en ce moment, tu sais. Même si l'offensive de Gaori échoue, cela suffira à attiser les haines à nouveau, et ce seront plusieurs années de travail à l'unification qui partiront en fumée.
- Je vois. En fait, c'est Gaori lui-même le problème. Il suffirait de l'éliminer et tout rentrerait dans l'ordre.
- Tu raisonnes bien comme un Gogenso, Cairn.
- Hé, j'ai été ambassadeur chez vous pendant un bon moment, j'ai fini par vous connaître. Vos ninjas assassins restent parmi les plus performants que je connaisse.
- Des ninjas ? Quels ninjas ? Tu sais bien que les ninjas n'existent pas - ce ne sont que rumeurs et légendes !
- Mais oui, Samu, mais oui, je te crois."
Ils rirent, encore une fois. Isao acheva son dîner d'une lampée de vin et rota et entreprit d'aller se coucher, laissant Cairn et Samu auprès du feu. Les cicatrices qu'il avait reçues lors de l'attaque de la caravane le cuisait encore, mais comme il avait proprement vidé (par accident, certes) la besace de Samu lors de leur passage chez Gaori Khan, le médecin n'avait plus de calmants à lui fournir, et il avait du se contenter de sa terrible et douloureuse technique des "points de pression..."
"Je pense que nous arriverons en vue de la frontière demain, et de là, la route nous mènera au plus proche poste-frontière. J'espère que les coursiers du Khanistan sont rapides.
- Les chevaux Faucons sont les plus rapides du monde. De ce point de vue j'ai confiance.
- Alors, il ne nous reste plus qu'à prier les dieux pour qu'ils empêchent une nouvelle guerre."
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"Général Jinsen ! Un message urgent nous vient du Nord !"
Le vieux général Scarabée se tourna vers son ordonnance, qui lui remit le rouleau puis s'esquiva en silence, aussi vite qu'il était venu.
Le vieil homme lut, et ses yeux s'agrandirent alors qu'il en saisissait le sens. Il surgit de son bureau, et hurla aux troupes de l'avant-poste :
"Aux armes ! Une armée se dirige vers nous - des Faucons ! Que chacun se prépare au siège ! Hâtez-vous ! Et envoyez-moi des éclaireurs reconnaître le terrain et me rapporter leur nombre !"
Il retourna dans son bureau, s'emparant d'un parchemin sur lequel il coucha, d'une écriture tremblante :
Sommes attaqués par armée Faucon. Besoin renforts de toute urgence.
Il fit envoyer le courrier, puis se prépara lui-même au siège. Pourquoi les Faucons les attaquaient-ils si soudainement ? Il soupira : il était homme de guerre, homme d'action. Il laisserait aux courtisans de la cité impériale le soin d'en discuter à loisir l'hiver prochain. Pour l'instant, il avait son devoir à assumer.
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Elle n'avait pu s'empêcher de s'évanouir quand elle les vit la première fois.
Des cadavres. Des milliers et des milliers de cadavres, qui venaient de surgir d'on ne sait où, et s'étaient joints à Gaori Khan.
Des horreurs contre-nature, marchant sous le soleil, puant tel un charnier en marche.
D'où venaient-ils ? Gaori était-il aussi nécromancien ? Elle ne s'était doutée de rien...
Elle se forcait à garder les yeux fermés, alors qu'elle voyageait avec le reste des autres vivants, minuscule enclave au milieu du flot des morts. Même sa "gardienne" arborait un visage tendu depuis que les morts avaient surgi de terre, la nuit précédente. Elle l'avait entendu murmurer plusieurs fois :
"Les Esprits du Vent... corrompus... corrompus..."
Gaori trônait sur son destrier, conduisant fièrement ses "troupes" vers les terres Scarabées. Ses yeux ne reflétaient que démence à présent, et même ses propres hommes se mirent à le craindre.
Ô Zanonai, puisses-tu nous venir en aide !
Un vent chaud souleva ses cheveux, alors que dans le ciel, les nuages viraient au rouge.
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