VI

   
  Automne 1090. Sixieme jour. 

J'écris ces quelques mots alors que la démence semble s'ancrer en moi, de plus en plus profondément. 

Des visions horribles m'assaillent, chaque nuit depuis une semaine, et toutes me montrent des visions terrifiantes de cadavres convulsés, un sang rouge vif suintant de leurs articulations alors qu'ils hurlent d'agonie. 

Je me suis porté volontaire pour toutes les rondes de nuit, car j'ai peur du sommeil à présent. 

Dans mes moments de défaillance, je serre le tanto que m'a offert mon oncle, et cela m'aide à me sentir fort. 

Un cadeau de l'Empereur, en qui va ma loyauté. Le rappel de mon devoir m'aide à traverser les cauchemars, bien que cela me devienne de plus en plus difficile. 

Le souvenir de la Peste Rouge est encore profond en moi, et j'en garde les cicatrices, deux ans après les événements. Même si Samu-sensei m'a soigné de son mieux, certaines plaies ne se sont pas refermées, et ce sont elles qui se sont remises à saigner, dans mon esprit. 

Ma cousine Pimiko reste l'un des rares rayons de soleil dans mon existence, son rire me fait oublier les visions. 

Automne 1090, huitième jour 

J'ai cédé à une nouvelle crise de démence hier soir, mais heureusement, personne n'était là pour me voir. J'ai utiliser le tanto de l'Empereur pour me saigner la poitrine, et avec mon propre sang, j'ai fait le portrait de Pimiko. 

Mes mains tremblent alors que j'écris ces mots. Je songe de plus en plus au seppuku, mais je sais que mon oncle, et aussi mon daimyo, refuserait si je ne lui donne pas de bonne raisons. 

Oserai-je lui parler de la folie qui m'envahit ? Je ne peux, sans salir l'honneur de mon propre nom. 

 

   
         

   

Extrait du rapport de Mishima Takaya, Magistrat Impériale. Le 18 Octobre 1090. 

Le cas Hitsuri a empiré. J'ai accepté, conformément aux souhaits de son oncle, de ne pas nommer son nom en entier en raison du déshonneur que cela entrainerait sur leur maison. 

Un nouveau meurtre a eu lieu la nuit derniere, en tout point semblable aux précédents. La victime a été saignée à blanc, son sang s'écoulant lentement de blessures infligées par le meurtrier aux niveau des articulations des bras et des jambes. 

Cela porte le nombre de victimes à huit, et j'ai pris la décision de faire venir un Inquisiteur Impérial et sa troupe. Eux seuls pourront traquer Hitsuri et mettre un terme à sa folie meurtrière. 

 

   

         
   

Le 20 Octobre 1090. 

Hitsuri a encore frappé. Cette fois, il y a une variation nouvelle dans le schéma du meurtre. Au sang de la victime était mêlé le sien, et il a peint un visage de jeune fille sur le mur du lieu du crime. 

Tous concordent à dire qu'il va essayer de s'en prendre à sa jeune cousine, la Princesse Pimiko, dont il vient de faire le portrait. La sécurité a été doublée au Palais tandis que l'Inquisiteur Impérial continue les recherches. 

 

   
         
   

Le 26 Octobre 1090 

La traque vient enfin de cesser, du moins officiellement. Hitsuri est parvenu à s'infiltrer dans le Palais et a failli parvenir à prendre la vie de la Princesse Pimiko, en la kidnappant. 

Par la grâce de Zanonai, nous avons pu la retrouver à temps : il était sur le point de l'immoler lorsque nous sommes intervenus. Une blessure mortelle lui a été infligée, cependant, son corps tombé dans les eaux du port, il m'est impossible de certifier le décès. Jusqu'à nouvel ordre, la sécurité sera donc maintenue telle qu'elle a été lors des dernières semaines. 

La Princesse est restée muette sur ce qui s'est passé pendant sa captivité. Les marques de la terreur l'habitent encore, et je n'ai pas jugé nécessaire de l'importuner outre-mesure. 

 

   
         
   

Le 18 Novembre 1090. 

Décision a été prise de faire cesser les recherches. Hitsuri est considéré comme disparu. 

L'Inquisiteur Inmpérial et moi-même rentrons demain faire notre rapport à l'Empereur. 

 

   

         
   

Seul, dans la petite pièce qu'il occupait, il continuait de dessiner. L'encre séchait vite, et il se fit une nouvelle entaille à la poitrine, y plongeant ses doigts écorchés. 

Il continuait de tracer la courbe qui serait le bientôt le beau visage de Pimiko. 

Il sourit 

Bientôt, bientôt serait pour elle le moment de payer. Oui, bientôt. 

L'éclat de la lune presque pleine inondait sa chambre, et il se releva, regardant au dehors la Cité Impériale. 

Il avait soif. 

Il s'était retenu de boire le sang de Pimiko, il y a douze ans, à cause d'un pari stupide avec ce gamin - dont la saveur du sang ne saurait être aussi pure et suave que celui de la Princesse. Il avait encore le goût du sang de ce garcon dans la bouche, un goût qui l'éloignait au contraire de la satiété. 

Il se pencha vers un petit meuble, s'essuya tant bien que mal les mains, prit un pinceau et se mit à écrire. Il plongea la pointe du frêle instrument dans l'une des entailles de sa poitrine qui s'était remise à suinter. 

Et c'est avec le sang de gamin que je t'écris, Pimiko. Son sang ne me suffit plus, tu le sais. Douze années ont passée, c'est là ce que vaut le sang de ce petit insolent. Seul ton sang me satisfera désormais.