III

   
         

 

 

"Attention Princesse !"

L'escalier branlant vacilla dangereusement à mi-chemin alors qu'une explosion secoua l'entresol. Eshin jeta un regard vers le rez-de-chaussée, guettant l'apparition d'un autre monstre. Lui et la Princesse Pimiko parvinrent enfin à l'étage et se mirent à courir vers la chambre de leurs compagnons. 

Le couloir était plongé dans une pénombre irréelle, éclairé par intermittence par les violents éclairs qui déchiraient le ciel d'orage. Ils virent soudain Samu et Takashi au bout du couloir, et accélérèrent le pas dans leur direction.

Mais, quelque chose n'allait pas.

Eshin était certain que le couloir ne faisait pas plus de vingt mètres de long - or ils ne semblaient pas rejoindre leurs amis, même au pas de course. Les distances lui parurent soudain comme distordues, et il ferma les yeux quelques secondes, puis les rouvrit : lui et la Princesse n'avancaient pas, tout comme leurs compagnons, et ils semblaient au contraire comme patiner sur place, alors que le couloir se distordait au fur et à mesure de leurs efforts.

La Princesse avait elle aussi remarqué cela, et cria vers les deux autres, qui s'étaient eux-aussi apercu de l'étrange sortilège qui les séparait de leurs compagnons :

"Samu ! Leste ton ruban et jette le moi !"

Le médecin détacha son ruban de soie rouge, le noua à un de ses paquets d'herbes médicinales pour le lester, et le jeta vers la Princesse et Eshin. Celle-ci tendit la main, et attrapa le ruban.

Le contact était renoué. La Princesse et Eshin, les yeux fermés, tirèrent sur leur côté du ruban et avancèrent en le longeant, contrant les effets illusoires du sortilège. Les quatres amis se retrouvèrent enfin à l'autre bout du couloir du couloir.

"Princesse, vous allez bien ?
- Oui, Samu, ca va. Nous devons quitter cet endroit au plus vite, retournons dans nos chambres prendre nos paquetages et abandonnons cet endroit."

Le médecin avala sa salive.

"Vous êtes sûre de vouloir retourner là-bas ?
- Oui, Samu. J'ai laissé des objets et des documents importants. Je dois les récupérer.
- C'est bien compris, Princesse. Allons-y alors."

Et ils se remirent à courir.

 

   

         
 

 

La prêtresse piqua une nouvelle grimace. 

"L'odeur du Mal se fait de plus en plus forte. Dommage que je n'ai pas emporté de reliques, cela nous aurait bien aidé. Zhang, passe-moi l'encens sacré."

Le lettré fouilla dans sa sacoche et tendit un lot de batonnets d'encens à sa compagne. Elle allait le prendre, quand le mur derrière elle s'abattit complètement, cédant la place à la grande monstruosité humanoide dont le poignet avait été tranché peu de temps auparavant par le compagnon de la Princesse Pimiko, que cette dernière avait appelé "Eshin".

La prêtresse esquiva rapidement la charge du monstre énorme, tandis que Zhang Liang l'attaqua directement, à la seule force de ses poings. Le lettré multiplia les coups contre la masse imposante du monstre, sans grand effet cependant, mais il savait qu'il ne faisait que gagner du temps. Les mouvements du monstre étaient lents, et il lui était aisé d'esquiver.

Soudain, une odeur familière se répandit dans la pièce. L'odeur de l'encens sacré.

Yuko revint, brandissant plusieurs bâtonnets qu'elle venait d'allumer, et commenca à réciter la Septième Stance des Bénédictions de Zanonai, celle qui protégeait des influences démoniaques et les repoussait. Ses mains jointes autour du bouquet d'encens tremblaient légèrement sous la tension qu'elle s'imposait. Le monstre rugit de rage en entendant les paroles saintes, alors que les effluves de l'encens commencaient à lui ronger la chair. Des lambeaux de ses muscles putréfiés tombèrent sur le sol alors que l'encens continuait de faire son effet.

Soudain, un rire strident éclata à leurs oreilles. Une voix de femme, moqueuse, leur lanca :

"Quel plaisir de voir une prêtresse venir se joindre à moi ce soir... Il y avait longtemps que je n'avais pas goûté à la chair d'un être empli de sainteté, je suis toute impatiente... Viens à moi, Prêtresse, viens à moi et tu verras..."

Et un nouveau tentacule jaillit du plancher et fit trébucher Yuko, qui fit tomber son encens et brisa la soumission qu'elle imposait au démon. Celui-ci gronda de rage, alors que Zhang Liang revenait à la charge.

Soudain, une forme ténébreuse frappa le lettré dans le dos, lui lacérant la chair. Il se retourna pour voir la main tranchée du monstre, toujours animée, et qui tentait à présent de l'étrangler, dégageant une immonde odeur de pourriture...

Yuko le vit, mais ne put aller l'aider, alors que le monstre lui-même se concentrait sur elle à présent. Elle se mit à reculer dangereusement.

 

   
         
 

 

"Le cri venait de par là.
- Allons-y, vite."

Les deux guerriers foncaient à l'intérieur de la masure en ruine, et débouchèrent sur une scène surprenante. 

Un monstre humanoide de près de trois mètres de haut luttait contre ce qui semblait être deux prêtres de Zanonai. L'un des prêtres, une femme, tentait d'esquiver tant bien que mal les assauts lents et maladroits de la créature, tandis que l'autre, un homme, luttait désespérément contre ce qui semblait être la main amputée du monstre et qui tentait à présent de l'étrangler.

"Occupez-vous du gros, je me charge de la main," lanca Mitsunaga.

Ryu s'élanca, ses deux sabres aux poings, s'interposant entre le monstre et la prêtresse. Celle-ci s'élanca alors sur les batonnets d'encens répandus sur le sol, et les ramassa à la hâte. A genoux, elle se remit à prononcer les paroles incantatoires de la Septième Stance.

Zhang Liang était bleu, sur le point de mourrir étouffé, quand Mitsunaga s'approcha, étendit la main et procéda à une gestuelle à la fois fluide et complexe, en criant :

"Par la Voie des Armes, je t'ordonne de lâcher cet homme! "

La main putréfiée s'immobilisa, frémit, puis relâcha lentement son étreinte. Aussitôt, Zhang Liang se dégagea, et donna un coup de pied circulaire qui projeta la main au sol. Mitsunaga brandit son cimeterre, et frappa alors la chose qui remuait tel un insecte, la tranchant en deux. L'énergie mystique contenue dans l'arme s'occupa de dissoudre la chose dont ne resta bientôt plus qu'un tas de cendres puantes. Zhang Liang s'effondra alors, récupérant enfin son souffle.

A nouveau, un cri, mais cette fois c'était Ryu, le samourai, qui venait de recevoir un violent coup dans le ventre qui le fit lâcher ses deux lames. Pour une raison qu'ils ne parvenaient pas à comprendre, la créature avait gagné en vigueur malgré les prières de Yuko, et empoigna le guerrier de sa dernière main, le projetant contre un mur qui éclata sous le choc, projetant l'homme quelque part dans les ombres du dehors.

Ils entendirent un bruit étouffé, alors que Ryu se réceptionnait tant bien que mal.

Le monstre se tourna vers Yuko, des fumerolles de vapeur noirâtre s'échappant lentement de ses narines. La prêtresse semblait avoir perdu contact avec la situation, toute concentrée sur son incantation. Il se dirigea alors lentement dans sa direction, Zhang Liang tendant la main et murmurant de sa voix à présent rauque :

"Non..!"

Mitsunaga s'élanca à son tour, et dans un immense effort trancha le monstre au niveau de la taille. Croyant s'en être débarassé, le guerrier-mage fut des plus surpris lorsque la moitié supérieure du monstre se retourna et lui flanqua un coup de poing qui le jeta au sol, sa moitié inférieure continuant de marcher vers Yuko.

Les deux moitiés du monstre se recollèrent alors l'une à l'autre dans un éclat surnaturel, puis la main de la créature se tendit lentement vers le cou de la prêtresse...

 

   
         
 

 

"C'est bon, vous avez tout ?
- Oui, Princesse, nous sommes prêts. Allons-y."

Les quatre compagnons se précipitèrent alors dans le couloir, lorsque Eshin leur fit signe de ralentir.

"Quelque chose nous observe..."

Il se tourna soudain derrière eux, et jeta l'une de ses étoiles de lancer dans l'obscurité. Un râle suivi d'un sifflement hargneux s'échappa des ombres du couloir, alors qu'une silhouette vaporeuse leur apparut. La foudre éclaira son visage, un visage humain.

Une femme, vêtue d'un long kimono de cérémonie venait d'apparaître devant eux, un léger sourire aux lèvres. Elle se mit à chanter, d'une voix aussi pure que le crystal.

"Un Yorei ! Un esprit vengeur ! Prenez garde !", cria Samu, brandissant l'un de ses talismans de papier. Le prêtre novice jeta alors l'étiquette sur laquelle était gravés les premiers vers sacrés d'une Bénédiction de Zanonai, prononcant une incantation mystique, et le papier s'élanca alors sur la femme fantôme. 

Celle-ci leva la main, et le papier se désagrégea dans une gerbe de flamme.

"Si tu crois m'avoir avec ca, petit prêtre, tu te trompes..."

Et elle éclata d'un rire maléfique, et ses cheveux soudain s'allongèrent pour l'attraper, l'enserrant dans une étreinte mortelle. Takashi s'élanca avec son no-dachi et trancha la chevelure noire et vaporeuse de la femme fantôme, et Samu tomba par terre en lâchant un cri sourd. Le Yorei s'éleva au dessus du sol, lévitant avec grâce, et à nouveau elle se mit à chanter.

Samu cria :

"Ne l'écoutez pas ! Bouchez-vous les oreilles !"

Mais encore une fois, trop tard. Les yeux de Takashi et Eshin étaient devenus vitreux, alors que le charme de la femme fantôme s'imposait à eux. Le médecin se tourna vers la Princesse, qui commenca à vaciller, puis il la vit mettre la main à sa sacoche, en tirant un éventail.

Le chant de la fantôme s'amplifia, percant les tympans de Samu qui tentait désespérement de se boucher les oreilles malgré les cheveux dans lesquels il était toujours empêtré. Le Yorei s'approcha de lui, guettant le moment où il faiblirait, quand soudain la Princesse Pimiko se posa devant la femme fantôme, et agita son éventail d'un revers de la main face à la bouche de la créature :

"LA FERME !"

Et la magie de l'éventail fut libérée.

Le Yorei porta la main à sa gorge, tout à coup muet, portant un regard désespéré vers la princesse. Cet ancien artefact Scarabée était connu sous le nom d'<i>Eventail du Silence</i>, et permettait de mettre au silence tout individu osant défier son porteur. Il s'agissait d'un cadeau de l'Empereur lui-même à la Princesse juste avant son départ pour les terres Gogenso, et elle venait de s'en servir pour la première fois.

Takashi et Eshin reprirent leurs esprit, et brandirent alors leurs lames vers le monstre soudain aphone.

La créature s'éleva alors dans les airs, puis dans un geste désespéré, projeta une rafale de vent contre le plancher, qui n'en demanda pas plus pour céder sous eux.

Ce fut dans un grand cri que les quatre héros atterrirent au rez-de-chaussée.

 

   

         
 

 

"Non..!", disait Zhang Liang, mais sa voix était trop faible. Il tenta de se relever pour venir en aide à Yuko avant que le monstre ne l'atteigne, mais il était trop faible, ses poumons le brûlaient du fait de sa récente asphyxie sous la poigne de la main du démon.

Un craquement au plafond attira son attention.

C'est bouche-bée qu'il vit atterrir quatre personnes en plein milieu de la pièce, dans un énorme nuage de poussière, deux d'entre elles se débrouillant pour s'écraser en plein sur le démon.

Il reconnut la Princesse Pimiko et son garde du corps Eshin, mais les deux autres lui étaient inconnus. C'étaient ces deux là justement qui avaient atterri sur le monstre...

 

   
         
 

 

Ce fut avec un hurlement de terreur que Samu accueillit l'idée d'avoir atterri en plein sur la tête d'un monstre hideux dont les narines dégageaient des vapeurs pestilencielles. La laideur du démon n'arrangeait pas les choses, et le contact gluant de sa peau putréfiée l'amena à explorer des tons jusque là inexplorés dans la gamme des aigus. 

Il se dit enfin (après quelques minutes d'un beau cri) qu'il serait peut être temps d'arrêter de hurler lorsque ses compagnons lui firent comprendre que le monstre était hors de combat. Takashi, en tombant, avait empalé le monstre avec son no-dachi, et le démon était à présent immobile, sur le plancher poussiéreux.

Il finit par se calmer, reprenant enfin son souffle.

Il regarda autour de lui et vit ses compagnons, avec quatre étrangers. Il se releva vivement, un peu honteux, et on procéda aux présentations d'usage chez les Scarabées (car il faut bien plus qu'une maison remplie de monstres et de démons pour ôter aux Scarabées leur infini sens de la courtoisie et de la politesse).

Le médecin se pencha alors vers le lettré du nom de Zhang Liang et lui tendit deux pilules qu'il avait pris dans sa sacoche.

"Tenez, prenez ces pilules, elles vont faire passer la sensation de brûlure dont vous souffrez à cause de l'asphyxie.
- Merci infiniment, Samu-san. Soyez remercié pour votre attention et ce geste Ô combien généreux. Puissent Zanonai et tous les kamis vous accorder leur bénédiction pour vous et tous vos descendants.
- Ce fut un honneur pour moi que de vous avoir rendu service, haut érudit du Clan des Gardiens du Savoir, et ...
- Grumph."

Le grognement caractéristique de Takashi Isao les interrompit - ce qui dans le langage particulier de l'ex-ronin signifiait (évidemment, il est impossible d'en rendre toutes les subtiles nuances) :

"Trève de bavardage, il est temps de se casser d'ici."

Et les huit voyageurs sortirent de la maison en ruine.

 

   
         
 

 

"C'est moi ou la sortie a disparu ?
- Hum..."

Ils inspectaient avec surprise la portion de mur qui s'élevait à présent là où se trouvait le portail par où ils étaient entrés dans la cour de l'auberge hantée. La pluie battante n'arrangea pas leur humeur.

"Le mur fait soixante centimetres d'épaisseur, et pres de trois metres de haut. Impossible de passer.
- On peut toujours escalader.
- Et laisser nos chevaux ici ?
- Pourquoi pas ?
- Tu te rends compte que la forêt doit elle-aussi grouiller de loups et de monstres ?
- Hmmm, je n'y avais pas pensé. Qu'est-ce qu'on fait alors ?"

La prêtresse Yuko proposa :

"Nous pouvons toujours rester ici et nous abriter quelque part. Je pense pouvoir repousser les fantômes et les démons jusqu'à l'aube, et vous pourrez alors repartir.
- Nous aussi, nous repartirons, non ?, " intervint Zhang Liang, le regard en biais.

"Non, je veux rester ici et dénicher le corps du démon qui hante cette auberge. De jour il sera affaibli, et nous aurons alors toutes les chances de pouvoir le détruire."

Gros soupir contrarié (le deuxième de la soirée pour être exact).

"Je suppose que je ne peux pas t'empêcher de faire ca.
- Bon, occupons-nous déjà de survivre à cette nuit, le reste on verra plus tard," lanca Eshin, toujours aussi pragmatique.

"Retournons à l'abri alors, à l'interieur au moins nous ne risquerons pas de nous enrhumer...", dit la Princesse Pimiko, et tous la suivirent vers la sinistre silhouette de l'auberge hantée...