Doko, Chevalier d'Or de la
Balance, continuait de méditer malgré la fine pluie qui plongeait
Rozan dans une atmosphère brumeuse et fantômatique.
Le moment de choisir était
venu, et le Phénix avait fini par choisir : il était redevenu
l'Aigle Rouge, le Rapace aux Ailes de Sang.
Le vieux Maître soupira : il
aurait aimé que tout cela ne ce soit jamais produit mais... les
faits étaient les faits.
Son seul acte répréhensible,
la seule tâche dans sa destinée de Chevalier, avait été commis
il y a deux siècles et demi, lors de la dernière grande Croisade
d'Athéna contre Ares. A l'époque, Ares, assoiffé de violence et
rendu comme fou, était sur le point de dévaster la planète entière
avec ses Légions de Flammes. La démence du dieu devint telle qu'un
groupe de Berserker prit alors le parti de trahir leur seigneur...
Doko ferma les yeux et se remémora
leurs visages : il se souvint plus particulièrement du Samurai et
de l'Aigle Rouge, avec qui il eut des contacts directs.
L'Aigle Rouge...
C'est lui, le Chevalier d'Or
de la Balance qui avait ramené le Berserker sur le sentier de la
raison et de la sagesse, lui faisant comprendre les horreurs
qu'entreprenaient Ares, lui rappelant que derrière tout combat il y
avait une raison, un idéal : la
raison pour laquelle se battait Ares lui paraissait-elle juste, à
lui, Berserker ? En quoi réalisait-il l'idéal qu'il leur avait
promis ?
Dans un premier temps,
l'Aigle Rouge s'était caché derrière une loyauté obstinée, mais
il finit par se rendre compte que les idéaux d'Ares avaient été déformés
par le temps, les siècles et les guerres, et qu'il n'y avait plus
que folie en son être. Il n'était plus que violence. La guerre
pour la guerre, voilà ce qu'était devenu le credo d'Ares.
L'Aigle Rouge trahit donc,
remettant pour la première fois en cause la conduite de son
seigneur, un dieu, et suivit le Samurai et quelques autres dans un
complot dont Doko ne connaissait d'abord pas les termes.
Puis le Chevalier d'Or fut à
son tour contacté.
La guerre entre Ares et Athéna
battait alors son plein, et beaucoup de guerriers avaient déjà été
perdus de part et d'autre. L'Aigle Rouge se présenta donc à lui,
et lui demanda s'il voulait bien le suivre dans son idéal de
protection de l'Humanité.
Doko, croyant au retour à la
raison du Berserker, acquiesça.
Ce dernier lui demanda alors,
à sa plus grande stupéfaction, de trahir
Athéna, au nom de la justice de leur cause, qui était de rendre à
l'Humanité sa liberté, et son indépendance par rapport aux dieux
qui s'étaient jusque là efforcés de la plier sous leur joug.
Le Berserker lui demanda
alors :
« Ma cause est-elle juste ?
»
Et lui Doko hésita.
Il sentait le bien-fondé de
cette rébellion contre les dieux, mais...
Il était loyal envers Athéna,
non seulement parce qu'il était un Chevalier, mais aussi parce
qu'il l'avait choisi, car il partageait les idéaux de paix d'Athéna,
qui ne s'en était jamais éloignée. Jamais.
Il aurait vraiment souhaité
que le Berserker vienne le rejoindre auprès de la Protectrice de la
Terre...
Mais lui et ses complices
avaient choisi la troisième voie, celle qui consiste à renier tous
les dieux, dans leur ensemble, en bloc. C'était une façon de voir
les choses, et une réponse possible au problème. Une voie
radicale, mais juste, elle-aussi, car ces guerriers rouges voulaient
tout autant le bien de l'Humanité.
Comme Ares à l'aube des
temps. Et c'était là le plus problématique.
Le tort du Seigneur de la
guerre fut simplement d'oublier son serment envers les hommes, ce
serment qu'il passa avec eux il y a si longtemps déjà que peu s'en
souvienne. Même lui ne connaissait pas la teneur exacte du serment
d'Ares, alors que celui d'Athéna était toujours aussi vif.
Oui, c'était bien là le
problème.
Les hommes avaient le droit
de prétendre à l'indépendance, mais...
Devait-il remettre en
question sa loyauté envers Athéna ?
Le doute s'était fait en
lui, et face à la ferveur de l'Aigle Rouge, il se demanda s'il ne
valait mieux pas pour lui qu'il quitte le camp d'Ares. Doko procéda
alors à un immonde calcul, une pensée si honteuse qu'il ne pouvait
que la dissimuler...
C'était ignoble de sa part
que d'inciter l'Aigle Rouge à la rébellion, car en faisant cela il
savait qu'il priverait le Seigneur de la guerre de l'un de ses plus
brillants généraux, rendant la victoire d'Athéna quasi
certaine... Si ces
Berserkers trahissaient, alors Athéna vaincrait, ce que lui Doko
avait toujours voulu. Alors à la question du Berserker il répondit
:
« Oui, elle est juste. »
Et il l'encouragea encore
plus.
Il regretta beaucoup ces
paroles, longuement, pendant toutes ces années.
Il avait menti, car le
complot des Berserkers avait beau leur sembler juste, les moyens
qu'ils se donnaient l'étaient beaucoup moins. Quoiqu'ils fassent,
ils n'en restaient pas moins des Berserkers, et leur seule façon
d'agir restait, et resterait, la violence...
Il avait donc menti, une
seule fois dans sa vie, pour garantir la victoire d'Athéna. Il
avait menti pour elle.
C'était là le moyen de
vaincre le plus déloyal qui soit, mais il se rendait compte qu'après
Ares se profilait le péril d'Hadès : Doko voulait économiser les
forces de la Chevalerie...
Alors il l'avait fait. Il
avait menti au Berserker et dit qu'il le rejoindrait sous sa bannière
de la troisième voie. Ce qu'il ne fit jamais.
L'Aigle Rouge fut chargé de
l'attentat visant la vie de l'incarnation originelle d'Ares : il fut
découvert, accusé de trahison, et exécuté. Les autres retournèrent
dans l'ombre, jamais démasqué. Lui-même ne connaissait que le
Samurai en plus de l'Aigle Rouge. Il ne savait pas qui d'autres
faisait partie du complot.
Pris par le remord, ce fut
lui-même, Doko, qui plaida la cause du Berserker auprès d'Athéna.
La déesse, dans sa divine
bonté, accepta alors de faire de l'ancienne Furie d'Ares une
nouvelle armure d'Athéna, en la fusionnant avec le Phénix.
L'esprit de l'Aigle Rouge fut donc ancré dans la nouvelle armure du
Phénix, et y resta endormie tous ces siècles, puisque l'armure ne
fut jamais portée de toute l'histoire de la Chevalerie jusqu'à ce
que Ikki la ramène de l'Ile de la Mort.
Le Chevalier de la Balance se
doutait bien qu'il y avait une raison à ce qu'un homme puisse enfin
revêtir cette armure à la puissance hors-norme : l'esprit de
l'Aigle Rouge était très sélectif et avait mis longtemps à
trouver un homme digne de lui.
Et cet homme était Ikki.
L'Aigle Rouge avait du sentir
l'imminence du réveil d'Ares.
A présent, il se doutait
bien que Ikki avait choisi la voie du Berserker... mais la question
qui restait à poser était alors : après sa trahison envers Athéna,
trahirait-il à nouveau Ares ? ou, poussé par sa rancune envers
lui, resterait-il fidèle à son ancien seigneur, rachetant sa faute
passée ?
Quelle que soit la voie
choisie par l'Aigle Rouge, jamais il ne pourrait, lui, Doko,
Chevalier d'Or de la Balance, le lui reprocher...
Doko venait de passer deux siècles
à veiller sur les Cinq Pics de Rozan, et il avait eu le temps de réfléchir,
et de comprendre que, même si l'on veut le bien, tous les moyens ne
sont pas bons pour y arriver : en poussant l'Aigle Rouge à la
trahison, il était devenu pire que les Berserkers eux-mêmes qui
avaient leurs propres droiture et idéaux.
Il avait fait l'erreur
d'avoir fait le mal en voulant le bien, et il le regretterait sans
doute toute sa vie...
L'averse cessa soudain, et il
entendit alors les bruits de pas d'un homme qu'il n'avait pas revu
depuis trente ans. C'était Salha, le Chevalier Aveugle.
Ce dernier s'approcha d'un
pas étrangement flottant, comme glissant au-dessus des flaques
d'eau de pluie, suivi du caisson de son Armure d'Argent lévitant
derrière lui.
Salha s'inclina alors devant
le vieux Maître, et dit :
« Vieux Maître, j'ai besoin
de votre aide. »
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