XVII

 

   

 

 

Mü, aux portes de la Maison du Bélier, tendait ses perceptions vers le lieu du Tournoi d’Ares. Il aurait voulu y participer, comme tous les Chevaliers d’Or, mais leur devoir de garde du Sanctuaire leur imposait de rester surveiller leurs maisons respectives. Il se contenterait donc de percevoir les éclats des combats.

Il se rappela ce que son maître, Sion du Bélier, le précédent Grand Pope assassiné, lui avait dit sur la dernière Guerre Sainte, le dernier grand conflit entre les dieux. Une bataille sanglante, où deux Chevaliers seulement survécurent. Sion d’abord, et Doko ensuite : Doko était le dernier à être encore envie, et son armure de la Balance continuait de lui obéir…

Le Vieux Maître des Cinq Pics était resté bien silencieux depuis le retour d’Ares, et Mü se demandait pourquoi. Etrange, vraiment.

Une présence près de lui le fit se retourner.

Une silhouette trapue le regardait en souriant.

« Sion est-il là ? »

L’inconnu était entre deux âges, et sa voix, rauque. Mü, se rapprochant, constata sa laideur. L’œil droit de l’inconnu était opaque, et son pied gauche était tordu. Il ne portait pas d’armure, mais d’énormes gantelets de métal gris. Un marteau pendait à son côté.

« Sion est-il là ? », répéta-t-il.

Mü se reprit et lui répondit :

« Sion n’est plus. Je suis son élève, Mü, l’actuel Chevalier d’Or du Bélier. Que lui vouliez-vous ? »

L’inconnu grimaça de tristesse.

« Ainsi Sion a donc fini par mourir… Mais cela ne fait rien finalement. Tu es son élève, tu devrais faire l’affaire…

-          Pardon, mais que voulez-vous dire ? Qui êtes-vous donc ? »

L’homme sourit, déformant son visage déjà hideux. 

« Je suis Celui qui Forgea Toutes les Armures…

J’ai loué autrefois mes services à chacun des Dieux, y compris ta Protectrice. C’est moi qui ai forgé chacune des Armures de la Chevalerie, du Bronze à l’Or, leur donnant vie et forme. C’est moi qui ai enseigné au Premier Chevalier du Bélier l’art de l’entretien des Armures d’Athéna… L’art de sentir et de recueillir la poussière d’étoile… »

Mü resta muet de stupeur. Cet homme serait…

« Vous êtes Héphaïstos ! Le Forgeron des Dieux !

- C’est exact, mon jeune ami, et je vais avoir besoin de ton aide… »

L’homme poussa un petit rire éraillé, et pénétra à l’intérieur de la Maison du Bélier.

Mü se contenta de le suivre avec respect.

 

   

         

 

 

Héphaïstos réfléchit un long moment.

La situation ne pouvait que dégénérer.

Il avait fait une erreur, une erreur impardonnable, lui, le plus grand des Artisans !

Il s’en était rendu compte finalement, mais c’était trop tard.

La machine était en route, et sa mécanique trop bien huilée.

Ares était allé trop loin, impossible de tout arrêter à présent, mais il y avait encore une solution.

C’était pour cela qu’il s’était éveillé, de nouveau, dans un siècle touchant à sa fin mais où beaucoup était encore à découvrir. Le réveil de l’Armure de Bronze du Phénix à sa puissance de Furie d’Ares l’avait troublé dans son sommeil si paisible…

La dernière fois qu’il s’était éveillé, il l’avait fait en réponse aux suppliques de la douce et belle Athéna, et son réveil ne fut d’ailleurs que temporaire : il lui revenait en effet de reforger la Furie du Dévoreur et l’Armure du Phénix, et de n’en faire plus qu’une seule entité au service d’Athéna…

Mais il avait fait une erreur. Une toute petite et subtile erreur, une erreur si petite qu’elle resta indécelable. Et à présent il s’en mordait les doigts.

L’Armure était légèrement mal équilibrée, une disharmonie infime, quasi inaudible. Et pourtant, les éléments opposés continuèrent de résonner, amplifiant la dissonance à travers les siècles…

Le Feu de la Terre et la Lumière des Etoiles s’affrontaient inlassablement au sein de cette Armure, lui conférant une dangereuse instabilité : l’issue ne pouvait qu’être catastrophique s’il n’intervenait pas.

Il fallait donc agir vite.

Il se demanda si le Chevalier du Bélier serait à la hauteur de son maître Sion…

Il espérait bien que oui.

Sinon, autant rendre son tablier tout de suite…