Il
escaladait la pente avec peine depuis trois bonnes heures. Son
parcours était difficile, interrompu par les tremblements
spasmodiques du volcan. Car c'était les parois d'un volcan qu'il
était en train d'escalader, celles de l'Etna plus précisément,
au nord-est de la Sicile.
Son
corps était couvert de sueur et de poussière, et il commençait
à avoir du mal à respirer à présent. La chaleur deviendrait
vite insoutenable aux abords du cratère… Il se demanda s'il
pourrait tenir jusqu'au bout. Il le faudrait pourtant.
Le
retour du Seigneur Ares dépendait en effet de son courage et de
son endurance. Il se savait capable de cet effort de volonté, et
il l'accomplirait. Il en allait de son devoir de Berserker. Il en
allait du devenir de l'humanité. Cette épreuve n'était que la
première d'une longue série: au bout se profilait l'utopie
d'Ares, un monde où la bravoure et l'honneur reprendraient tout
leur sens…
Et
Lorenzo y croyait. Il y croyait aveuglément. Il mourrait pour que
cela soit accompli.
Le
cratère s'étendait à présent au devant de lui. Il entendait le
bouillonnement de la lave, et l'extraordinaire chaleur de
l'endroit l'enveloppa d'une étreinte dévorante, comme pour
l'engloutir. Il inspecta les lieux et vit ce qu'il cherchait.
C'était
l'urne, l'Urne d'Athena, celle avec laquelle la déesse avait
emprisonné l'esprit du Seigneur Ares il y a plus de deux siècles…
La puissance du sceau de protection avait été rongée peu à peu
par la chaleur infernale de ce lieu, et le temps était venu pour
Ares de revenir, et de réclamer son dû.
Car
la Terre n'avait pas toujours été le domaine d'Athéna. Il fut
un temps où la Terre était équitablement partagée entre les
deux divinités, mais la traîtrise de cette perfide déesse à
l'intelligence sournoise en avait décidé autrement lors de leur
dernier affrontement.
Cette
fois, les choses seraient différentes. Ares venait de passer deux
siècles à méditer sur sa défaite, et à présent il était prêt.
Le sceau de protection peu à peu affaibli, il avait recommencé
à visiter le monde sous la forme d'un esprit pur. Il avait cherché
longtemps celui qui lui servirait d'avatar, ainsi que ceux qui
seraient amenés à devenir ses meilleurs guerriers, mais
aujourd'hui il les avait trouvés. Neuf Berserkers nés en neuf
lieux distincts étaient prêts à le servir. Et quelque part se
tenait un homme alliant la puissance physique à l'intelligence
tactique… Une intelligence extraordinaire, même, et une volonté
presque divine. Le choix d'Ares ne pouvait être autre. Car s'il y
avait une différence majeure entre lui et les autres divinités,
c'était bien sa façon de s'incarner sur Terre. Là où Athena
s'incarnait d'elle même dans un corps d'enfant, là où Poséidon
s'incarnait dans les membres d'une même lignée humaine, lui,
Ares, montrait un bien plus grand pragmatisme, en choisissant
toujours le meilleur guerrier humain d'une génération…
Lorenzo
prit l'urne entre ses mains. Ses doigts effleurèrent le sceau
d'Athena qui tomba aussitôt en poussière. Un tremblement
incroyable secoua alors le volcan dont l'activité décupla. La
lave s'agitait frénétiquement tandis que les parois intérieures
du volcan se déchiraient. Une gigantesque vague d'énergie s'échappa
de l'urne, la broyant au passage, et Lorenzo fut propulsé contre
la roche. Une incroyable colonne de lumière ensanglantée jaillit
du lac de lave et transperça les cieux. Un tourbillon se forma
dans le lac de lave, dont le niveau se mit étrangement à
baisser.
Lorenzo
se releva et grimpa rapidement la paroi pour échapper à ce qui
allait suivre.
Au
fond du lac, une forme se fit entrevoir. C'était l'armure du
Seigneur de Guerre, l'armure d'Ares tout puissant. Lorenzo eut le
souffle coupé devant le spectacle d'une telle grandeur. L'armure
luisait d'un éclat rouge pareil à la lave dont elle était
issue, un éclat sanglant. Brandissant une hache gigantesque, le
buste divin semblait hurler sa rage. Une voix gronda au milieu du
vacarme, la voix d'un Dieu:
"Tant
de temps, et me revoilà enfin sur la Terre!
Athéna,
si tu m'entends, je suis ici pour reconquérir ce qui me revient
de droit!
A
moi, mes Berserkers, réveillez-vous et devenez les Commandants de
mes armées!
Que
le souffle de ma rage parcoure la planète, et que ma volonté
soit faite!"
Le
souffle divin souleva Lorenzo et le projeta lui aussi dans les
cieux.
Une
seconde armure avait jaillit de la lave. Elle partageait les mêmes
éclats de sang que celle d'Ares, mais la comparaison s'arrêtait
là. Cette armure était celle du Premier Berserker, le plus pur
d'entre tous, car le plus proche du Seigneur Ares lui-même, et de
fait, le mieux à même de le protéger.
Depuis
toujours on connaissait les armures des Berserkers sous le nom de
"Furies", et Lorenzo revêtait à présent celle que
l'on appelait L'Assoiffée, la Furie Sanglante. Sa représentation
était celle d'un buste écarlate serrant entre ses redoutables
gantelets une épée large. Un mystérieux liquide pareil à du
sang suintait à travers les doigts des deux gantelets, comme si
une pression trop forte de la main faisait jaillir le sang des
vaisseaux… La lame flamboyante de l'épée semblait traversée
de soubresauts alors qu'une énergie terrifiante cherchait à s'en
libérer.
Lorsque
Lorenzo la revêtit, un frisson indescriptible parcourut son
corps, alors que l'âme du Berserker s'éveillait en lui. Sa
vision s'ensanglanta, comme cela lui était déjà familier, et
tout devint rouge.
Rouge…
comme le sang. Rouge… Rouge…
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