V

 

   

 

Il escaladait la pente avec peine depuis trois bonnes heures. Son parcours était difficile, interrompu par les tremblements spasmodiques du volcan. Car c'était les parois d'un volcan qu'il était en train d'escalader, celles de l'Etna plus précisément, au nord-est de la Sicile.

Son corps était couvert de sueur et de poussière, et il commençait à avoir du mal à respirer à présent. La chaleur deviendrait vite insoutenable aux abords du cratère… Il se demanda s'il pourrait tenir jusqu'au bout. Il le faudrait pourtant.

Le retour du Seigneur Ares dépendait en effet de son courage et de son endurance. Il se savait capable de cet effort de volonté, et il l'accomplirait. Il en allait de son devoir de Berserker. Il en allait du devenir de l'humanité. Cette épreuve n'était que la première d'une longue série: au bout se profilait l'utopie d'Ares, un monde où la bravoure et l'honneur reprendraient tout leur sens…

Et Lorenzo y croyait. Il y croyait aveuglément. Il mourrait pour que cela soit accompli.

Le cratère s'étendait à présent au devant de lui. Il entendait le bouillonnement de la lave, et l'extraordinaire chaleur de l'endroit l'enveloppa d'une étreinte dévorante, comme pour l'engloutir. Il inspecta les lieux et vit ce qu'il cherchait.

C'était l'urne, l'Urne d'Athena, celle avec laquelle la déesse avait emprisonné l'esprit du Seigneur Ares il y a plus de deux siècles… La puissance du sceau de protection avait été rongée peu à peu par la chaleur infernale de ce lieu, et le temps était venu pour Ares de revenir, et de réclamer son dû.

Car la Terre n'avait pas toujours été le domaine d'Athéna. Il fut un temps où la Terre était équitablement partagée entre les deux divinités, mais la traîtrise de cette perfide déesse à l'intelligence sournoise en avait décidé autrement lors de leur dernier affrontement.

Cette fois, les choses seraient différentes. Ares venait de passer deux siècles à méditer sur sa défaite, et à présent il était prêt. Le sceau de protection peu à peu affaibli, il avait recommencé à visiter le monde sous la forme d'un esprit pur. Il avait cherché longtemps celui qui lui servirait d'avatar, ainsi que ceux qui seraient amenés à devenir ses meilleurs guerriers, mais aujourd'hui il les avait trouvés. Neuf Berserkers nés en neuf lieux distincts étaient prêts à le servir. Et quelque part se tenait un homme alliant la puissance physique à l'intelligence tactique… Une intelligence extraordinaire, même, et une volonté presque divine. Le choix d'Ares ne pouvait être autre. Car s'il y avait une différence majeure entre lui et les autres divinités, c'était bien sa façon de s'incarner sur Terre. Là où Athena s'incarnait d'elle même dans un corps d'enfant, là où Poséidon s'incarnait dans les membres d'une même lignée humaine, lui, Ares, montrait un bien plus grand pragmatisme, en choisissant toujours le meilleur guerrier humain d'une génération…

Lorenzo prit l'urne entre ses mains. Ses doigts effleurèrent le sceau d'Athena qui tomba aussitôt en poussière. Un tremblement incroyable secoua alors le volcan dont l'activité décupla. La lave s'agitait frénétiquement tandis que les parois intérieures du volcan se déchiraient. Une gigantesque vague d'énergie s'échappa de l'urne, la broyant au passage, et Lorenzo fut propulsé contre la roche. Une incroyable colonne de lumière ensanglantée jaillit du lac de lave et transperça les cieux. Un tourbillon se forma dans le lac de lave, dont le niveau se mit étrangement à baisser.

Lorenzo se releva et grimpa rapidement la paroi pour échapper à ce qui allait suivre.

Au fond du lac, une forme se fit entrevoir. C'était l'armure du Seigneur de Guerre, l'armure d'Ares tout puissant. Lorenzo eut le souffle coupé devant le spectacle d'une telle grandeur. L'armure luisait d'un éclat rouge pareil à la lave dont elle était issue, un éclat sanglant. Brandissant une hache gigantesque, le buste divin semblait hurler sa rage. Une voix gronda au milieu du vacarme, la voix d'un Dieu:

"Tant de temps, et me revoilà enfin sur la Terre!

Athéna, si tu m'entends, je suis ici pour reconquérir ce qui me revient de droit!

A moi, mes Berserkers, réveillez-vous et devenez les Commandants de mes armées!

Que le souffle de ma rage parcoure la planète, et que ma volonté soit faite!"

Le souffle divin souleva Lorenzo et le projeta lui aussi dans les cieux.

Une seconde armure avait jaillit de la lave. Elle partageait les mêmes éclats de sang que celle d'Ares, mais la comparaison s'arrêtait là. Cette armure était celle du Premier Berserker, le plus pur d'entre tous, car le plus proche du Seigneur Ares lui-même, et de fait, le mieux à même de le protéger.

Depuis toujours on connaissait les armures des Berserkers sous le nom de "Furies", et Lorenzo revêtait à présent celle que l'on appelait L'Assoiffée, la Furie Sanglante. Sa représentation était celle d'un buste écarlate serrant entre ses redoutables gantelets une épée large. Un mystérieux liquide pareil à du sang suintait à travers les doigts des deux gantelets, comme si une pression trop forte de la main faisait jaillir le sang des vaisseaux… La lame flamboyante de l'épée semblait traversée de soubresauts alors qu'une énergie terrifiante cherchait à s'en libérer.

Lorsque Lorenzo la revêtit, un frisson indescriptible parcourut son corps, alors que l'âme du Berserker s'éveillait en lui. Sa vision s'ensanglanta, comme cela lui était déjà familier, et tout devint rouge.

Rouge… comme le sang. Rouge… Rouge…

   

         

 

 

Partout sur la planète les volcans se réveillèrent.
Partout des séismes.
La Terre s'entrouvrait, et le flot de ses sanglantes entrailles recouvrit sa surface.
On ne comptait plus le nombre des morts.
L'heure était à l'apocalypse.
En huit autres lieux les éruptions se firent terribles.
Ainsi s'éveillèrent les huit autres Berserkers.

Ainsi s'éveilla l'esprit du Tueur, dans le feu du Vésuve en Italie.
Ainsi s'éveilla l'esprit du Prédateur, dans les cendres du Krakatoa en Indonésie.
Ainsi s'éveilla l'esprit du Duelliste, dans les flammes renouvelées du Massif Central français.
Ainsi s'éveilla l'esprit du Stratège, dans le souffle indomptable du Mont Rainier en Amérique du Nord.

Ainsi s'éveilla l'esprit du Samuraï, dans la lave millénaire du Mont Fuji.
Ainsi s'éveilla l'esprit du Guerrier Chasseur, dans le magma bouillonnant du Kilimandjaro.
Ainsi s'éveilla l'esprit du Destructeur, dans l'anéantissement de tout l'archipel d'Hawaï.
Ainsi s'éveilla l'esprit de la Walkyrie, dans l'ultime bataille entre le feu et la glace d'Islande…