V

 

   
 

Lahn n’en revenait pas.

Plus il en apprenait sur le monde du Dessous, plus ses réflexions allaient loin sur ce qu’était le Vrai Monde, un monde qui englobait à la fois celui des Arches et celui des Arpenteurs de Pénombre, comme il les avait appelés.

Quand il débarqua le premier jour, on le considéra d’abord avec curiosité, mais il déchaîna bientôt une grande excitation en présentant son immense toile de tissu blanc, qui apparemment était chose rare. Il l’offrit alors à la tribu, qui le considéra dès lors comme un membre à part entière : il était déjà l’ami de Nei, qui semblait très apprécié par tout le monde, et cela semblait beaucoup faciliter les choses. Ce dernier se fit d’ailleurs une joie de narrer leur rencontre lors des grandes veillées, qui avaient lieu tous les neuf jours. Lahn avait fini, peu à peu, par aimer cette vie, parmi les gens du dessous, mais sa quête de connaissances quant à elle ne faiblissait pas, et il continuait à chercher des réponses.

Il avait émis un certain nombre d’hypothèses sur le passé, et beaucoup se trouvèrent vérifiées.

Tout d’abord, les textes des Ecritures de la Grande Bibliothèque étaient à comprendre de façon littérale, il n’y avait pas à les interpréter. Il n’y avait pas de mythe ou de parabole dans tout cela. Les membres du Concile ne faisaient que perpétuer une erreur d’interprétation, mais au fond il en vint, peu à peu, à comprendre leur attitude. Ils avaient besoin d’un sens à leur existence, et à celle de l’Arche elle-même.

Ils en avaient besoin, tout comme les habitants du Dessous avaient leurs propres légendes.

Il avait ainsi écouté leur Chant des Traditions, et cela ne faisait plus aucun doute à présent. Le contenu de leur mythe, notamment pour ce qui est du cataclysme ayant englouti la Terre était le même que celui retranscrit dans les Archives de la bibliothèque…

Autrefois, les hommes vivaient sur la Terre, une sorte de fondement solide cerné par les océans. Puis vint une grande guerre entre les hommes qui provoqua un gigantesque cataclysme à l’échelle du monde entier, et les mers recouvrirent la Terre suite à la catastrophe. Certains hommes parvinrent à échapper au cataclysme à bord des Arches qui s’isolèrent alors dans le ciel. D’autres parvinrent à survivre dans le monde sombre qui leur fut légué après le cataclysme, et ceux là furent les ancêtres de Nei…

Tout cela était si énorme que son cœur battait bruyamment à chaque fois qu’il y pensait.

Mais il avait beau comprendre tout cela, il y avait encore un problème qu’il ne parvenait pas  à résoudre : comment retourner sur l’Arche ?

 

   
         
   

Nei avait beau s’être habitué à l’Homme Tombé du Ciel, il trouvait toujours sa figure très amusante à chaque fois qu’il découvrait quelque chose de nouveau. La grimace de son visage le faisait rire à chaque fois, mais il se retenait poliment : après tout, Lahn lui avait conté tellement de merveilles sur son « Arsche », quelle tête aurait-il fait si lui-même avait un jour débarqué là-haut ?

En tout cas, cette fois, c’était quelque chose de vraiment extraordinaire, car Lahn en resta figé de stupeur pendant un bon moment. Quand lui-même comprit ce qui étonnait tellement son nouvel ami, il en fut abasourdi.

C’était son coutelas d’ivoire ou, plus exactement, les gravures de « Métall » incrustées dans la garde de son héritage. Ces gravures dessinaient des symboles que Lahn lui affirma se trouver dans l’une des salles contenant le mécanisme qui s’occupait de produire le mouvement du navire céleste. L’agitation de l’Homme Tombé du Ciel fut telle qu’il n’en dormit pas de la nuit.

Nei fut alors pressé de questions sur l’origine de son coutelas, et surtout sur celle des gravures de « Métall », mais lui-même n’en savait rien. La présence de « Métall » pour reprendre l’appellation de Lahn, remontait à une époque fort lointaine : c’était un héritage familial, l’emblème de leur statut d’Eclaireurs depuis des générations. Il lui présenta alors les autres Reliques contenant du « Métall » et servant notamment à la coupe du bois, mais Lahn n’y attacha guère d’importance : il y avait beaucoup de « Métall » là où il vivait, et ces objets ne comportaient aucune inscription intéressante…

En fait, c’étaient les symboles qui l’intéressaient.

Lahn lui demanda alors s’il n’y avait pas d’autres endroits où trouver du « Métall ».

Nei réfléchit longuement, il y avait bien les autres tribus mais… puis tout à coup, il se souvint. Toute l’agitation qui avait pris la tribu à l’arrivée de Lahn avait en effet écarté ce souvenir de son esprit… Ces gravures, il les avait vues autre part, dans un lieu où il y avait du « Métall », beaucoup même. Sa surprise avait été grande sur le moment mais avait vite cédé la place à une stupeur plus grande encore, celle de rencontrer l’Homme Tombé du Ciel…

Effectivement donc, il y avait bien un endroit où il en avait trouvé en abondance.

C’était au fond de la mer.

 

   

         
 

 

Dire qu’il était excité était un piètre rendu de la réalité.

Pour la première fois il allait plonger sous l’océan !

Les leçons que Nei lui avait données quant à l’art de « Nhager » étaient très efficaces, et il arrivait à présent à se maintenir malgré les vagues au-dessus des flots. Bien sûr, il était loin d’égaler l’agilité des membres de la tribu de Nei, mais tous étaient étonnés de la rapidité de ses progrès.

On le prépara ensuite longuement à l’exercice de la plongée: il apprit les exercices destinés à contrôler sa respiration et à la retenir le temps d’une descente, on le mit en garde contre les divers dangers des espaces sous-marins, et on lui fit boire la liqueur qu’on fabriquait à partir des fruits du « Vërger ». Cette boisson était incroyablement vitalisante : on lui dit qu’elle lui fournirait toute la force nécessaire pour tenir face au froid une fois sous l’eau.

On le prévint bien sûr de la folie de son entreprise. Nei avait certes réussi à visiter le fond, mais c’était le meilleur Eclaireur. Lui, Lahn, venait d’un lieu où il n’y avait même pas assez d’eau pour « Nhager »… Alors quelles pouvaient être ses chances de survivre là-bas, dans les Abîmes ?

Mais c’était beaucoup trop important pour abandonner : ils avaient peut être affaire à des vestiges de l’ère précédente, celle d’avant le cataclysme !

Quoi qu’il en soit, il fallait absolument qu’il sache. Nei avait vu les mêmes symboles au fond de l’océan, les mêmes que sur son coutelas, les mêmes que dans le Temple des Machines !

Il devait y aller.

La tribu avait finalement cédé, acceptant alors de le former, et ce fut Nei qui se porta volontaire pour l’accompagner. Lui seul pourrait l’aider en cas de problème, et puis, il était le seul à savoir où il avait trouvé ces vestiges des temps anciens après tout…

Enfin le moment de la plongée arriva.

Et encore une fois, Lahn allait plonger dans un univers inconnu.